Un intrigant poème… mathématique

Tribune libre
Écrit par Roger Mansuy
Publié le 1 août 2023

Pour cette brève, je vous propose de vous intéresser à ce court poème (a priori inédit) qui évoque les mathématiques et qui constitue le texte d’une petite énigme.

Avant de vous révéler le secret de ce texte, voici un petit peu de contexte. J’ai trouvé cette page dans un carton de lettres datant du début des années 40 dans les archives de l’Institut Henri Poincaré. Il y avait beaucoup de choses dans ce carton: des cartes postales, des enveloppes dans d’improbables et minuscules formats, des feuilles en papier pelure devenues presque friables, mais aussi de sinistres marques de l’époque comme des timbres de l’État Français ou des tampons indiquant que les censeurs avaient fait leur sale travail…

Ces archives exceptionnelles rassemblent la correspondance d’un journal mathématique, l’Intermédiaire des Recherches Mathématiques 2« De conception pointilliste, l’Intermédiaire des mathématiciens de Laisant et Lemoine parut en 1894. Vers la fin du dernier conflit mondial, ce périodique revécut durant trois ans sous le titre d’Intermédiaire des Recherches Mathématiques et sous la direction de Paul Belgodère. » (L’évolution de l’enseignement des mathématiques en France de 1872 à 1972 APMEP); le contenu est toutefois peu varié: des lettres d’abonnement, des questions de lecteurs, des demandes de références bibliographiques, voire quelques nouvelles plus personnelles. Les auteurs sont tantôt des mathématiciens de premier plan, tantôt de simples amateurs.

Le courrier qui nous intéresse dans cette brève est daté du 17 mars 1946 et son auteur est le célèbre Jacques Hadamard (1865-1963) dont voici une photographie:

S’il écrit à Paul Belgodère (1921-1986) qui gère ce journal, ce n’est pas pour parler de matrices, d’équations différentielles ou de nombres premiers mais bien pour transmettre ce curieux poème écrit comme dérivatif lors d’une nuit d’insomnie… Il explique qu’il reprend à cette occasion une activité déjà pratiquée « dans les caves » pendant « l’autre guerre », c’est-à-dire lors des longues heures dans les abris pendant le bombardement de Paris lors de la première Guerre Mondiale. Cette élucubration, ainsi qu’il l’appelle lui-même, est un hommage à l’homme qui aime à faire apprendre un nombre utile aux sages. Si vous avez reconnu cette phrase, le mystère est levé; sinon, reportez sur chaque mot du poème le nombre de lettres du mot (avec la convention qu’un mot de 10 lettres sera marqué du seul 0):

Vous trouvez ainsi la séquence de chiffres suivante «27182818284590452353602874713526624977572470936999»
Si vous placez une virgule après le premier 2, vous reconnaissez les 49 premières décimales de la constante \(e\) (base du logarithme népérien et parfois appelée nombre d’Euler ou de Néper) et vous comprenez que Jacques Hadamard nous fournit ainsi un moyen mnémotechnique pour les chiffres de \(e\). Il ne vous reste plus qu’à l’apprendre!

Post-scriptum

Jacques Hadamard indique que lors de sa première tentative dans les abris de la Grande Guerre, il s’était limité aux dix premières décimales qu’il avait pu calculer.

Crédits images

Photographie de la correspondance de Paul Belgodère au sujet de l’Intermédiaire des Recherches Mathématiques, à l’Institut Henri Poincaré

Photographie de Jacques Hadamard (CC BY-SA 4.0) sur https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hadamard_retouched.jpg

ÉCRIT PAR

Roger Mansuy

Professeur de mathématiques en MP* - Lycée Saint-Louis (Paris)

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