Un matheux est-il « quelqu’un de bien » ?

Tribune libre
Publié le 5 janvier 2009

Pendant longtemps, enfant, j’ai cherché à savoir ce que voulait dire l’expression « untel est quelqu’un de bien » dans la bouche des adultes. Serai-je jamais moi-même quelqu’un de bien ? Les années passant, j’ai finalement compris que, pour un homme jeune en tout cas, cela voulait dire grosso modo le « gendre idéal » : bon fils, bon mari, bon père, voisin sociable, courtois, spirituel (pas trop), etc.

Le destin a voulu que je devienne mathématicien, arithméticien obnubilé pratiquement jour et nuit par des objets mathématiques de nature p-adique (p est ici un nombre premier) qui n’intéressent qu’une frange extrêmement limitée de la population mondiale. Or, pour être bon mathématicien et bon chercheur, il faut s’efforcer d’oublier que l’on est un être humain afin de devenir une pure machine à penser. Tout chercheur vous dira que les considérations d’ordre affectif ou égocentrique (et plus généralement les considérations « humaines ») viennent immanquablement troubler le cours limpide d’un raisonnement logique, ou embrumer une intuition mathématique en train de prendre forme. Sans compter que l’activité de recherche mathématique est, la plupart du temps, une réflexion purement solitaire, à l’opposé de toute forme de socialisation, ce qui à la longue finit forcément par « déteindre » un peu sur le comportement dans la vie de tous les jours.

Dans ces conditions, il me paraît difficile pour un matheux chevronné d’être le prototype du « gendre idéal » (demandez à ma belle famille…), c’est même pour ainsi dire antinomique avec le cœur de son activité professionnelle. Non, finalement, peut-être qu’un matheux n’est pas toujours « quelqu’un de bien », tant pis !

Ou alors tant mieux : n’est-ce pas ce qui le rend intéressant ?

ÉCRIT PAR

Christophe Breuil

Directeur de recherche - Université Paris-Saclay

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