Centre multidisciplinaire de Creteil.
Dans ce billet, je voudrais raconter la campagne électorale qui a agité l’université Paris-Est Créteil (UPEC) en février dernier. Ce faisant, je voudrais donner une idée de l’état de la démocratie universitaire car c’est un thème que je souhaite aborder dans un prochain billet.
Cette année 2012 a été marquée non seulement par d’importantes échéances électorales nationales mais aussi par le renouvellement d’un grand nombre de conseils des universités et de leurs président-e-s (65 si l’on en croit le site EducPro). Ces élections ont eu lieu alors que la loi « Liberté et Responsabilité des Universités » ( LRU ) a été imposée en 2007 par le précédent gouvernement. Nous verrons que cela n’est pas sans conséquence.
Deux camps s’affrontaient sur la dalle de l’UPEC à l’occasion du scrutin du 2 février dernier. D’un côté, dans la continuité de l’équipe sortante et avec sa bénédiction, des listes ont été constituées autour de l’ancien vice-président du conseil scientifique. Une autre s’est constituée autour des élus SNESUP sortants et de ses syndiqués, en rassemblant aussi d’autres personnels qui se retrouvaient dans ce programme. Le débat promettait d’être intéressant. Pourtant il n’aura pas eu lieu.
La première conséquence de la loi LRU est l’ hyper-présidentialisation des élections. En couplant les élections des conseils avec celle du ou de la président-e, les élu-e-s des conseils sont perçu-e-s comme de simples soutiens à ce ou cette dernièr-e. Ainsi la campagne s’est déroulée autour d’un-e président-e candidat-e et d’équipes de direction. Nous avons accepté de jouer ce jeu dangereux, le plus honnêtement possible. Une façon de ne pas riper était de tenir un cap, un objectif . De notre point de vue, le point de clivage entre les deux listes était de nature démocratique . Il était de décider ensemble, ou non, de l’avenir de notre université. En effet, l’équipe sortante avait décidé du sort de notre établissement en toute discrétion et sans aucun débat. Il y avait d’abord eu la création du pôle « Université Paris-Est » ( PRES UPE pour les intimes) à la gouvernance largement « renforcée » 5Si on lit les statuts, sur les 33 membres de son CA, seuls 7 sont élus : 4 représentants des enseignants-chercheurs, 1 représentant des personnels administratifs, 2 pour les étudiants. Qui plus est, au vu de la composition actuelle du CA, il y a seulement 2 représentants des enseignants-chercheurs (au lieu de 4) et 1 représentant des étudiants (au lieu de 2).. Elle avait aussi résolu de se plier au « jeu » des projEX« grand emprunt » en déposant une Initiative d’excellence 6Ce projet prévoyait la création d’une « nouvelle université visible au plan mondial fondée sur les deux pôles qui constituent le premier » périmètre d’excellence : « Ville, Environnement et leurs ingénieries » et « Santé et Société » (première page de la seconde version). Il était dit dans le rapport que seuls 80% des enseignants-chercheurs seraient inclus dans le projet. On prévoyait donc explicitement de laisser 20% sur le carreau. Je ne reviens pas sur la notion d’excellence, « ce plan social de la science » pour reprendre l’expression de Philippe Buttgen et Barbara Cassin dans « L’excellence, ce faux ami de la science », Libération, 2 décembre 2010.. La marque de fabrique de ce projet pour les quelques milliers de personnels et les quelques dizaines de milliers d’étudiants est qu’il a été élaboré par un nombre très restreint de personnes « qui savent », à partir de fiches de synthèse rédigées par de jeunes technocrates, new public managementoblige. En dépit de demandes répétées, les élu-e-s SNESUP du CA n’ont pas eu accès aux dossiers avant leurs dépôts. Plus généralement, tous ces projets ont été élaborés et déposés sans que les conseils de l’université (i.e. ses instances représentatives et démocratiques) en aient débattu, ou au moins aient apporté leur soutien par un vote. Tout au plus, certains ont été « présentés » en conseil, sans vote, plusieurs semaines après leur dépôt.
Notre équipe proposait donc de changer de méthode , de ne pas engager l’avenir de notre établissement sans un débat large, ouvert et long pour que chacun s’approprie (ou non) le projet et se positionne. Charge ensuite à qui gouverne de trancher. Nous leur avons proposé à plusieurs reprises de débattre de façon contradictoire devant tous, pour connaître leur position, pour que le débat soit porté sur la place publique. Mais nos tentatives furent vaines. L’équipe renouvelée n’a jamais reconnu l’enjeu de ce changement institutionnel majeur et n’a jamais voulu en débattre : « Ce sont les projets et les personnes qui m’intéressent, pas les institutions. » 7Notre demande de débat fut non seulement récupérée par la présidente via un mail à l’ensemble des personnels de l’université mais c’est une succession de numéros de music-hall qui en a tenu lieu : chaque liste a été invitée à se présenter en cinq minutes chrono. Sans échange.
La LRU a aussi eu des conséquences inattendues pour les chercheurs CNRS rattachés à plusieurs universités, ce qui est mon cas. Ceux-ci ne peuvent voter que dans l’établissement principal de rattachement de leur laboratoire. Ainsi, j’ai été déclaré inéligible et je n’ai pas pu prendre part au vote. Je travaille pourtant quotidiennement à Créteil. Un autre visage de cette loi scélérate est le scrutin de liste majoritaire qui est désormais la règle au sein du seul conseil décisionnaire, le conseil d’administration. Ainsi, bien que nos listes aient obtenu entre 40 et 50% des suffrages parmi les « maîtres de conférences » (une partie des enseignants-chercheurs), une seule personne sur sept les représentera : cela fait moins de 15% ! Combiné au 30% de voix chez les « professeurs », nous obtenons finalement que deux sièges sur quatorze. Nous ne sommes bien sûr pas du tout un cas isolé, le même constat est fait dans les autres universités. Si l’on peut comprendre qu’un maire a besoin d’une équipe pour mettre en charge qui sa politique du logement, qui sa politique sociale, il est difficile de comprendre l’utilité d’élire 14 représentants des enseignants-chercheurs qui ne débattent pas, ne se saisissent pas des dossiers, ne sont pas critiques. Le conseil d’administration est bel et bien transformé en chambre d’enregistrement ronflante8Un élu m’a rapporté que lors d’une des dernières séances, le nouveau président s’étonnait : « il n’y a pas de questions, pas de commentaires ??! ». Zzzzz. .
Dans notre université comme dans toutes les autres, il n’est plus question de débattre, de choisir collectivement l’avenir que les personnels d’une université souhaitent pour leurs formations et leur établissement. Les équipes élues vont le plus souvent continuer à mener une politique qui a pourtant été combattue par une communauté universitaire désormais résignée .
16h59
Je ne veut pas revenir sur le terme d’« Excellence » avec tout ce qu’il sous-entend. Je voudrais noter un autre terme qu’on entend également beaucoup, et qui pose tout autant problème : « gouvernance renforcée ». On le voit bien partout, gouvernance renforcée signifie moins d’élus, et plus de membres nommés (par copinage, soyons réaliste). En quoi cela renforce-t-il la gouvernance ? Sans doute est-ce l’absence de vision critique qui permet de s’enfermer dans ses erreurs que l’on appelle renforcement de la gouvernance. Ou comme dirait notre cher directeur « il faut savoir faire un compromis entre démocratie et efficacité »…
10h12
Bonjour,
Oui c’est la raison pour laquelle l’expression est entre guillemets dans le billet. Cela fait partie des nombreux points que je voudrais aborder dans un billet à venir sur la démocratie universitaire. Merci d’avoir relever ce point !
Cyril Imbert
10h42
Je ne voudrais pas avoir l’air pessimiste [1], mais il me semble avoir constaté que les plus ardents défenseurs de la démocratie universitaire se calment assez rapidement sur ce sujet lorsqu’une part de pouvoir leur est accordée (ou qu’ils ont réussi à la conquérir).
Ce comportement humain a été très bien compris par les auteurs de la LRU, qui ont multiplié les possibilités de tels « petits » pouvoirs. Sans parler des preneurs de décision sur la modulation des services d’enseignement, je me contenterai pour cette fois d’une énumération à un terme, citant seulement ce que je connais le mieux (pour l’avoir beaucoup pratiqué, à mon corps [2] défendant) :
être membre d’un comité de sélection qui va choisir un nouveau collègue sans avoir à connaître de ce qui peut être souhaitable pour le laboratoire concerné et sans avoir à rendre compte à qui que ce soit.
Bon courage dans votre croisade pour la démocratie universitaire !
Avec toutes mes excuses aux lecteurs non membres du sérail pour cette discussion « corporatiste ».
[1] « pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté » (ce que je vous souhaite, bien entendu, mais cite-t-on encore Gramsci au temps de l’« Excellence » ?).
[2] « corps » n’est pas à prendre au pied de la lettre, mais on ne dit pas « à mon âme défendante », je crois.