Nous sommes en Russie à la fin du XIXème. Iégor, élève de première au lycée, fait travailler un garçon de douze ans. Comme le père assiste à la leçon, il espère bien se mettre suffisamment en valeur pour décrocher une augmentation. C’est le thème d’un joli conte d’Anton Tchekhov, le Répétiteur.
Hélas, dans le manuel de calcul, il tombe sur le problème suivant.
Un marchand a acheté cent trente-huit archines 2mesure de longueur russe ; l’édition dont je dispose indique qu’une archine vaut 1 070 mètres, c’est sûrement une coquille de drap noir et de drap bleu pour cinq cent quarante roubles. On demande combien il a acheté d’archines de chaque couleur, sachant que le drap bleu coûtait cinq roubles l’archine et le noir trois roubles.
La plupart des lecteurs penseront à juste titre que, si X et Y désignent respectivement le nombre d’archines de drap noir et bleu, il suffit de résoudre le systéme de deux équations à deux inconnues
$$X+Y = 138\ ; \ 3X+5Y= 540$$
Hélas ! Ce n’est pas ce que l’on demande au jeune garçon, qui n’a pas encore fait d’algèbre, et doit employer des méthodes élémentaires. Iégor, quant à lui, sait bien résoudre un tel système. Mais du coup, il ne sait plus faire les choses de façon élémentaire. Et, honte suprême, le père s’empare du boulier, donne la solution et dit
Voilà comment nous faisons, nous qui ne sommes pas savants !
Ce n’est pas ce jour là que Iégor aura son augmentation …
Il est facile de rire du pauvre Iégor. Mais Tchekhov a mis le doigt sur un phénomène classique : quand on a appris à résoudre un problème par des méthodes « puissantes » (même si ce qualificatif est très relatif dans cet exemple) et systématiques il arrive que l’on ne sache plus le faire de façon artisanale. Et notre héros, qui enseigne aussi le latin, la géographie, l’histoire sainte, la grammaire (comme l’écrit Tchekhov, Il y en a des sciences en ce monde !) n’a pas le recul nécessaire pour réadapter pour son jeune élève la méthode classique de résolution.
18h16
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