Une promenade dans le Jardin des courbes

Recension

Un avis sur « Le jardin des courbes, 2e édition (En un seul volume) : Dictionnaire raisonné des courbes planes célèbres et remarquables » par Hamza Khelif

Publié le 31 octobre 2020

Lorsqu’on parle de courbe, l’image qui vous vient peut-être d’abord à l’esprit est celle d’un trait de crayon sur une feuille.
Les courbes cultivées dans Le jardin des courbes d’Hamza Khelif que nous allons visiter maintenant ont un sens plus large.

Le jardin se compose de trois parties-parcelles. La première, celle des apprentis jardiniers est l’occasion pour le lecteur-visiteur que vous êtes de revoir les rudiments : différents modes de définition (polaire, cartésienne, implicite, barycentrique) et d’étude (longueur, courbure) des courbes planes.
Puis vient la plus grande parcelle du jardin avec ses 26 portes alphabétiques.

Vous y trouverez pêle-mêle tantôt une variété différentielle de dimension 1, tantôt une courbe algébrique définie en coordonnées homogènes, par une équation implicite, par une équation intrinsèque (la donnée de sa courbure), paramétrique, multipolaire, trilinéaire, projective, fractale…

En vous aventurant dans des allées moins fréquentées du Jardin, une courbe pourra désigner également des objets aussi divers qu’un chemin dans un graphe ou encore la représentation d’un L-système, etc.

Avec un tel éventail, pas facile d’en classer certaines ; tenez par exemple : la quartique de Klein : courbe ou surface ? Les deux…

Je vous disais que dans le jardin des courbes on trouve bien plus que des courbes stricto sensu… l’auteur y fait pousser des espèces plus éclectiques, plus exotiques. Prenez par exemple, deux réels qu’au lieu d’ajouter vous ne gardiez que le plus grand et dont vous remplaciez le produit par la somme, vous pourriez vous rendre dans la partie la mieux ensoleillée du jardin pour découvrir les courbes de la géométrie tropicale et la merveilleuse dualité qui les relie à la théorie des graphes (les graphes rectilignes pondérés équilibrés).

Au détour d’un bosquet de courbes, le terme de log-esthétique témoigne de la sensibilité des mathématiques à l’attrait visuel d’une courbe, l’intérêt qu’elles lui portent est souvent ailleurs. De nombreux exemples illustrent très prosaïquement les explications données tout au long de votre promenade ; ce qui a le bienfait de la rendre plus concrète.

Parmi les quêtes les plus belles en mathématiques rapportées dans l’ouvrage, arrive en bonne place celle d’invariant le plus universel possible pour sinon classer au moins mettre un peu d’ordre dans un ensemble de courbes donné.

Même si la jacobienne est plus connue en analyse numérique matricielle, il n’est pas inutile de rappeler que la géométrie est au fondement de l’algèbre linéaire ; laquelle nous rend service dans notre quotidien. À ce titre la contribution de Jacobi à l’algèbre linéaire est d’abord motivée par des idées géométriques. La jacobienne de trois courbes témoigne de cet héritage.

Une autre idée tellement féconde en géométrie projective est celle de dualité dont un énoncé imagé pourrait être

Pour aller à un endroit, prendre le même chemin que pour en revenir.

Ainsi, chercher des points d’une courbe partageant la même tangente est analogue à chercher un point double (de la courbe duale). Et si vous cherchez la courbe dont la quartique de Klein (encore elle) est la courbe duale… il suffit de chercher sa courbe duale !

L’ensemble des coniques (courbes de degré 2) est constitué de trois types de courbes(ellipse, parabole, hyperbole) mais pour classer les 152 types de courbes de degré 4, le recours à un déterminant pour les représenter illustre là encore l’étroit lien entre algèbre et géométrie ; ici, le monde des merveilleux spectaèdres.

Enfin, dans la dernière parcelle du jardin (nouvelle par rapport à la 1ère édition) le visiteur que vous êtes pourra découvrir dans La galerie de courbes autant d’invitations à se plonger dans le monde des fractales via des systèmes de fonctions itérées, dans le monde des systèmes dynamiques.

L’entrée à partir d’un seul mot dans la partie dictionnaire, donne à ce livre un accès synthétique au cœur de la notion ; ce lien direct pouvant tout aussi bien être exploité par le novice à la recherche du sens d’un mot mathématique que par l’expert qu’il soit agrégatif en quête d’un résumé concis ou d’un exemple original pour illustrer un oral que professeur pour retrouver une référence mathématique théorique ou appliquée à la physique, notamment.

Un Jardin des courbes qu’il est urgent de visiter sans se presser, pour le plaisir des yeux ou bien, au contraire, d’arpenter à grandes enjambées d’un mot à l’autre, en croquant dans ses courbes comme dans des fruits aussi engageants et croquants que délicieux.

ÉCRIT PAR

Sébastien Kernivinen

Enseignant en mathématiques - CNED, Rennes.

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