Depuis quelque temps on entend parler à la radio ou on lit dans les journaux beaucoup de choses au sujet de l’ennui à l’école. Des livres sont consacrés à ce sujet : des récits personnels d’anciens élèves 5Lola Vanier, Longtemps je me suis ennuyée à l’école, Max Milo (2015). ou des propositions formulées par des spécialistes (souvent des sociologues 6François Dubet et Marie Duru-Bella, 10 Propositions pour changer l’école, Seuil (2015)., 7Edgar Morin, Enseigner à vivre Manifeste pour changer l’éducation, Actes Sud (2014). et 8Eloge des mathématiques entretien avec Alain Badiou en dialogue avec Gilles Haéri, chez Flammarion (sorti ce mardi 15 septembre 2015).) ; tout cela pour faire évoluer l’école.
Nous l’avons déjà signalé dans cette rubrique, le système est en crise, de la maternelle à l’université.
Au-delà des contenus des programmes, il a été écrit dans cette rubrique ou ailleurs sur ce site, et à plusieurs reprises, que d’autres aspects devraient être pris en compte dans l’évaluation de la réussite scolaire ou tout simplement de la réussite de nos propres vies.
En effet, un élève qui dit s’ennuyer à suivre un programme pourrait déjà faire l’effort de s’y intéresser afin de mieux le critiquer ensuite. Il pourrait tout au moins travailler ses leçons ou certaines parties du programme. Il pourrait aussi questionner ses professeurs sur tel ou tel autre sujet difficile.
Il est clair que le rôle du professeur demeure crucial, et éveiller la curiosité des plus jeunes a été et reste un levier fondamental dans l’enseignement.
Mais, encore une fois, il est plus facile de porter des critiques à un système que de composer avec celui-ci, aussi souffrant soit-il.
En ce qui concerne les mathématiques, il y a presque un an, Madame la Ministre a même annoncé une « stratégie mathématique » comme on lance une stratégie pour gagner une bataille. Il n’a pas été vraiment question de guerre mais tout de même d’un combat pour obtenir que les jeunes Français soient meilleurs dans une discipline où le niveau continue sa chute (libre ?) et les résultats sont catastrophiques.
Dans cette soi-disant nouvelle approche de Madame la Ministre, il a été question de programmes en phase avec le temps, d’enseignants mieux formés, d’une image rénovée des mathématiques, d’une meilleure prise en compte des recherches et des innovations menées en France et à l’étranger…
Entre temps, il y a eu la réforme des collèges avec un slogan : « Mieux apprendre pour mieux réussir ».
Comment mieux apprendre sans effort et sans travail ? Un jour, quelqu’un devra expliquer haut et fort comment s’y prendre pour éviter ces deux bêtes-là ! Ou bien, il faudra tout simplement assumer que ces deux valeurs sont incontournables dans la vie et pas seulement à l’école.
Depuis presque un an, date de la sortie du projet « stratégie mathématique », la situation est encore plus préoccupante qu’à la rentrée 2014. Pourquoi ?
D’abord, nous n’entendons plus parler de cette stratégie qui avait fait alors couler beaucoup d’encre. Ensuite, d’autres signaux laissent présager que de grandes turbulences, bien plus inquiétantes, sont sur le point d’arriver.
La réforme des collèges a pratiquement effacé les bons projets de la « stratégie mathématique » même si certains disent qu’elle contient les propos de la « stratégie mathématique ».
À l’heure actuelle, le constat désolant qu’on peut faire est que dans beaucoup de rectorats les stages de formation continue disciplinaires destinés aux professeurs de mathématiques des collèges ont été supprimés, impactant notamment fortement l’activité des Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (les I.R.E.M.).
Pourtant, dans les projets de Madame la Ministre, il était question de faire appel au fleuron de la formation continue en France en mathématiques : les I.R.E.M. Eh bien non ! Que dire ? Nous laissons nos lecteurs réagir déjà sur ces points.
Notre impression est qu’aucun gouvernement n’arrive finalement à définir ce que signifie « mieux apprendre », « mieux réussir » …. et, en ce qui nous concerne de plus près, comment faire aimer les mathématiques et faire en sorte au moins que la majorité des jeunes y trouve du plaisir.
Finalement, la balle est comme souvent dans le camp des professeurs qui doivent imaginer à chaque réforme quelles pirouettes accomplir pour tenir la classe, comment traiter tel ou tel sujet, respecter les programmes, tenter de les faire assimiler par leurs élèves et, cerise sur le gâteau, éveiller la curiosité de quelques jeunes tout au moins parmi les plus motivés de la classe.
Nous repensons alors à nos cours universitaires, à ces moments que l’on pourrait définir comme magiques durant lesquels, transportés par la passion du sujet traité, nous vibrions et nous espérions avoir fait vibrer la salle avec nous.
Un de nous vibrait en expliquant en première année la bijection entre un segment et la droite ou, en troisième année, le demi-plan de Poincaré ou la formule de Laguerre, donnant la pente entre deux droites du plan en fonction du logarithme d’un birapport particulier. Un autre en présentant l’existence de nombres transcendants ou en démontrant la finitude du nombre de polyèdres réguliers en dimension 3. Et un troisième pour les fonctions discontinues mille fois dérivables !
Ce débat porte surtout sur une question : quels sont les sujets qui nous font vibrer et que nous avons plaisir à enseigner ?
Il serait intéressant de partager cette passion commune qui nous a amenés un jour, pour des raisons que parfois nous-mêmes ignorons, à nous inscrire à l’université en mathématiques et à devenir enseignants.
Car, en guise de conclusion, s’il y a un espoir auquel s’accrocher au-delà de tout ce tam-tam médiatique, c’est bien celui de sa propre passion ! En trouver une est vraiment une grande réussite !
Qu’en pensez-vous chers lecteurs ?
20h04
Bonjour, vous évoquez plusieurs choses dans ce texte un brin désabusé, notamment (a) la question du « comment faire aimer les mathématiques et faire en sorte au moins que la majorité des jeunes y trouve du plaisir » , et (b) « quels sont les sujets qui nous font vibrer et que nous avons plaisir à enseigner ? »
En ce qui concerne le (a), je pense que ça ne sera jamais le cas. Mais curieusement je trouve matière à être optimiste dans les nouveaux programmes sortis aujourd’hui qui montrent que des rudiments de programmation informatique sous un angle ludique vont être enseignés en cours de maths : je pense que cela va être un bon moyen d’intéresser les élèves (imaginez donc, concrètement faire soi-même une petit jeu type ping-pong en cours), oui mais ceci a un lien fort avec les maths traditionnelles (analogie entre une démonstration correcte et un programme qui compile et produit le résultat attendu, et impact sur la nécessité d’être organisé dans son raisonnement). Cela peut provoquer des déclics plus facilement. Par ailleurs, une anecdote pour appuyer le fait que l’on peut être intelligent et ne pas aimer les maths : j’ai récemment eu une conversation avec une médecin anesthésiste qui voulait savoir qui est le patient qu’elle était sur le point d’endormir, et en apprenant que j’avais fait des études de maths a eu la réaction typique « -oh moi, les maths et les stats, j’en ai fait pendant mes études de médecine mais je n’ai jamais rien compris, j’ai appris par coeur et eu des notes moyennes ». Je l’ai rassurée « -on aime ou on aime, c’est pas grave » et je me suis dit intérieurement « -tout ce que je demande, c’est que l’anesthésie soit réussie ! », ce qui fût le cas.
En ce qui concerne le (b), je ne suis d’aucune utilité, mais c’est une question intéressante. Il y a des choses très jolies du côté du principe d’inclusion-exclusion et de ses applications aux nombres premiers.
14h59
Merci pour cet article.
Je suis partisan du ludique à l’école, s’ennuyer c’est peut-être bien si on a devant les yeux une iconographie qui permet de se poser de belles questions, mais aujourd’hui les salles de classes ne sont pas richement ornées. Et s’amuser en apprenant, avec l’enseignant et la classe, me parait quand-même plus efficace.
Mais ludique ne veut pas dire sans effort. Il faut voir les efforts que les jeunes mettent à passer au niveau supérieur de Mortal Mario Craft pour comprendre que ludique ne veut pas dire facile mais implique d’être engageant, attrayant, motivant. C’est sûr que rivaliser avec Nintendo met la barre assez haut, il faut beaucoup d’imagination aux enseignants pour trouver des problèmes motivants et les présenter de manière convaincante…
Il y a quand-même aussi dans l’aspect ludique la gratuité de l’engagement, et notre système d’évaluation fait peser une chape de suspicion sur toute activité, qui éteint la motivation : s’il n’y a ni le bâton ni la carotte de la note, les élèves, leurs parents, les collègues, sous-estiment rapidement l’intérêt d’un dispositif. Les meilleures idées ne passeront pas facilement tant que le système d’évaluation ne sera pas pacifié. Pour qui, pourquoi évaluons-nous les élèves ?
La métaphore de la vibration me parait pertinente, déjà pour le violon et la musique de manière générale, dans l’exercice de laquelle une famille accepte de grands sacrifices pour cultiver une passion. Il en est de même dans le sport, mais exercer sa passion dans le cadre des mathématiques parait complètement incongru, et rares sont les clubs de math http://math.univ-lyon1.fr/~lass/club.html qui permettent à ceux que ça fait vibrer de se syntoniser avec d’autres partageant ce goût.
Il est cependant des espaces où cette vibration peut naître. Les clubs d’informatique en étaient du temps de ma jeunesse, il y a maintenant les fablabs https://fr.wikipedia.org/wiki/Fab_lab et autres laboratoires ouverts, où on ne va pas bien loin sans mathématiques. Pour s’en tenir strictement à elles, je conseille à tous de participer, en tant que chercheur, enseignant ou parent d’élève, aux ateliers Math.en.Jeans https://www.mathenjeans.fr/ qui sont des dispositifs d’initiation à la recherche mathématique par la recherche, au cours de l’année, sur un sujet ouvert, à leur portée dans lequel ils peuvent rentrer. Lors du congrès annuel, voir ces centaines d’élèves ultra-motivés qui se sont donnés du mal mais aussi du plaisir et qui vous attrapent par la manche pour vous faire comprendre leurs résultats de recherche sur les permutations, les tas de sable ou le comptage des marmottes, c’est une expérience qui vous motive en tant qu’enseignant et formateur d’enseignants pour l’année entière !
Il est certain que, rentré dans son université, composer avec les moyens de formation continue dont on dispose, relativement richement ici (chez nous à Lyon), pauvrement ailleurs, et de sentir la boussole budgétaire sous-jacente à de nombreux discours, comme une épée de Damoclès derrière chaque « bonne idée », ça demande de se replonger dans l’atmosphère d’un congrès Math.en.Jeans pour se dire que oui, malgré tout, nous pouvons parfois réussir à transmettre notre vibration…
Christian Mercat, IREM de Lyon, vice-président de l’Assemblée des Directeurs d’IREM.