Vibrations mathématiques

Débat
Publié le 18 septembre 2015

Depuis quelque temps on entend parler à la radio ou on lit dans les journaux beaucoup de choses au sujet de l’ennui à l’école. Des livres sont consacrés à ce sujet : des récits personnels d’anciens élèves 5Lola Vanier, Longtemps je me suis ennuyée à l’école, Max Milo (2015). ou des propositions formulées par des spécialistes (souvent des sociologues 6François Dubet et Marie Duru-Bella, 10 Propositions pour changer l’école, Seuil (2015)., 7Edgar Morin, Enseigner à vivre Manifeste pour changer l’éducation, Actes Sud (2014). et 8Eloge des mathématiques entretien avec Alain Badiou en dialogue avec Gilles Haéri, chez Flammarion (sorti ce mardi 15 septembre 2015).) ; tout cela pour faire évoluer l’école.

Nous l’avons déjà signalé dans cette rubrique, le système est en crise, de la maternelle à l’université.

Au-delà des contenus des programmes, il a été écrit dans cette rubrique ou ailleurs sur ce site, et à plusieurs reprises, que d’autres aspects devraient être pris en compte dans l’évaluation de la réussite scolaire ou tout simplement de la réussite de nos propres vies.

En effet, un élève qui dit s’ennuyer à suivre un programme pourrait déjà faire l’effort de s’y intéresser afin de mieux le critiquer ensuite. Il pourrait tout au moins travailler ses leçons ou certaines parties du programme. Il pourrait aussi questionner ses professeurs sur tel ou tel autre sujet difficile.

Il est clair que le rôle du professeur demeure crucial, et éveiller la curiosité des plus jeunes a été et reste un levier fondamental dans l’enseignement.

Mais, encore une fois, il est plus facile de porter des critiques à un système que de composer avec celui-ci, aussi souffrant soit-il.

En ce qui concerne les mathématiques, il y a presque un an, Madame la Ministre a même annoncé une « stratégie mathématique » comme on lance une stratégie pour gagner une bataille. Il n’a pas été vraiment question de guerre mais tout de même d’un combat pour obtenir que les jeunes Français soient meilleurs dans une discipline où le niveau continue sa chute (libre ?) et les résultats sont catastrophiques.

Dans cette soi-disant nouvelle approche de Madame la Ministre, il a été question de programmes en phase avec le temps, d’enseignants mieux formés, d’une image rénovée des mathématiques, d’une meilleure prise en compte des recherches et des innovations menées en France et à l’étranger…

Entre temps, il y a eu la réforme des collèges avec un slogan : « Mieux apprendre pour mieux réussir ».

Comment mieux apprendre sans effort et sans travail ? Un jour, quelqu’un devra expliquer haut et fort comment s’y prendre pour éviter ces deux bêtes-là ! Ou bien, il faudra tout simplement assumer que ces deux valeurs sont incontournables dans la vie et pas seulement à l’école.

Depuis presque un an, date de la sortie du projet « stratégie mathématique », la situation est encore plus préoccupante qu’à la rentrée 2014. Pourquoi ?

D’abord, nous n’entendons plus parler de cette stratégie qui avait fait alors couler beaucoup d’encre. Ensuite, d’autres signaux laissent présager que de grandes turbulences, bien plus inquiétantes, sont sur le point d’arriver.

La réforme des collèges a pratiquement effacé les bons projets de la « stratégie mathématique » même si certains disent qu’elle contient les propos de la « stratégie mathématique ».

À l’heure actuelle, le constat désolant qu’on peut faire est que dans beaucoup de rectorats les stages de formation continue disciplinaires destinés aux professeurs de mathématiques des collèges ont été supprimés, impactant notamment fortement l’activité des Instituts de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques (les I.R.E.M.).

Pourtant, dans les projets de Madame la Ministre, il était question de faire appel au fleuron de la formation continue en France en mathématiques : les I.R.E.M. Eh bien non ! Que dire ? Nous laissons nos lecteurs réagir déjà sur ces points.

Notre impression est qu’aucun gouvernement n’arrive finalement à définir ce que signifie « mieux apprendre », « mieux réussir » …. et, en ce qui nous concerne de plus près, comment faire aimer les mathématiques et faire en sorte au moins que la majorité des jeunes y trouve du plaisir.

Finalement, la balle est comme souvent dans le camp des professeurs qui doivent imaginer à chaque réforme quelles pirouettes accomplir pour tenir la classe, comment traiter tel ou tel sujet, respecter les programmes, tenter de les faire assimiler par leurs élèves et, cerise sur le gâteau, éveiller la curiosité de quelques jeunes tout au moins parmi les plus motivés de la classe.

Nous repensons alors à nos cours universitaires, à ces moments que l’on pourrait définir comme magiques durant lesquels, transportés par la passion du sujet traité, nous vibrions et nous espérions avoir fait vibrer la salle avec nous.

Un de nous vibrait en expliquant en première année la bijection entre un segment et la droite ou, en troisième année, le demi-plan de Poincaré ou la formule de Laguerre, donnant la pente entre deux droites du plan en fonction du logarithme d’un birapport particulier. Un autre en présentant l’existence de nombres transcendants ou en démontrant la finitude du nombre de polyèdres réguliers en dimension 3. Et un troisième pour les fonctions discontinues mille fois dérivables !

Ce débat porte surtout sur une question : quels sont les sujets qui nous font vibrer et que nous avons plaisir à enseigner ?

Il serait intéressant de partager cette passion commune qui nous a amenés un jour, pour des raisons que parfois nous-mêmes ignorons, à nous inscrire à l’université en mathématiques et à devenir enseignants.

Car, en guise de conclusion, s’il y a un espoir auquel s’accrocher au-delà de tout ce tam-tam médiatique, c’est bien celui de sa propre passion ! En trouver une est vraiment une grande réussite !

Qu’en pensez-vous chers lecteurs ?

ÉCRIT PAR

Aziz El Kacimi

Professeur émérite - Université Polytechnique Hauts-de-France

François Recher

Directeur - IREM de Lille

Valerio Vassallo

Mathématicien - Université Lille 1 et Cité des Géométries - Gare numérique de Jeumont

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