Tout avait commencé le 15 mars par un courriel de Madame S. Gillon qui, en sa qualité d’assistante du Président de l’Académie des sciences, me transmettait une invitation du Président, me conviant, ainsi qu’un certain nombre d’autres personnes, à un cocktail amical autour du professeur Meyer au Palais de l’Institut de France . Il était précisé qu’il fallait garder un secret absolu sur cette invitation et que le Professeur Meyer sera[it] présent à ce cocktail sans en connaître la raison . Je fus honoré de cette invitation qui me ferait aller à l’Académie juste une semaine après ma première visite (sur une invitation du Comité de rédaction des Comptes-Rendus de l’Académie des sciences ). Ce carton était manifestement adressé aux anciens doctorants d’Yves Meyer (qui a été mon directeur de thèse de troisième cycle comme on disait alors) mais je n’avais pas la moindre idée de ce que nous allions fêter. Ce n’est que le mardi 21 mars, jour du cocktail, que j’appris en lisant la presse et la superbe nouvelle et la raison de ce cocktail : Yves Meyer recevait le prix Abel !
Nous nous retrouvâmes au salon Bonnefous, académiciens et anciens doctorants d’Yves. Ce dernier arriva quelques instants en retard, nous demandant de l’excuser car il avait été accaparé par des journalistes : applaudi, il remarqua rapidement qu’il n’y avait pas que des académiciens dans le salon, et fut touché de voir les personnes présentes et de comprendre la gentille conspiration qui les avait réunies. Le cocktail suivit de peu les discours chaleureux de Sébastien Candel, Président de l’Académie des sciences, de Rolf Einar Fife, Ambassadeur de Norvège en France, d’Anders Elverhøi, Vice-Président de l’Académie norvégienne des sciences et lettres, puis ceux très émus de Jean-Pierre Kahane et d’Yves Meyer, tous deux membres de l’Académie des sciences.
Je ne dirai rien ici des travaux d’Yves Meyer me contentant de citer en particulier deux mots-clés parmi bien d’autres (quasicristaux et ondelettes) et renvoyant par exemple ici ou là pour les lecteurs désirant en savoir plus. Je parlerai plutôt… du mot Abel . Ce nom est plus connu comme celui du fils d’Adam et d’Ève, frère de Caïn. Et ce qui m’interpelle, à tort ou à raison, est l’homonymie du mathématicien et du personnage biblique. [« Abel » est aussi le suffixe en norvégien, sauf erreur, qui correspond aux « -able, -ible, etc. » et qui signifie « capable de » …] Mais le mot Abel de la Bible pourrait signifier deux choses d’après le Dictionnaire du Judaïsme (Les Dictionnaires d’Universalis). L’une est le souffle , la vapeur , la vanité , c’est le mot utilisé dans la phrase bien connue de l’Ecclésiaste « Vanité des vanités… ». Et si l’on retenait pour le prix Abel le sens de souffle ? mais comme dans l’expression quel souffle ! . L’autre étymologie proposée dans le Dictionnaire cité ci-dessus est un lien avec le mot akkadien aplu ou ablu qui signifie fils. Et ceci renvoie merveilleusement au discours de J.-P. Kahane qui expliqua que, lorsqu’Y. Meyer était son étudiant en thèse, lui-même n’avait rien d’autre à faire que lire et approuver ce qu’Yves écrivait, et au discours d’Y. Meyer qui proclama que 90% de son travail était en fait celui de ses étudiants, laissant tous les deux entrevoir et l’importance de la transmission et la modestie du maître qui s’efface derrière ses disciples.