Février 2023

Le triangle de Sierpiński illustre la revue de presse de ce mois de février

Publié le 1 mars 2023

Le triangle de Sierpiński se perdrait presque dans les arbres enneigés de Suède. Cadeau de l’ambassade de Pologne à l’université d’Uppsala, il illustre la revue de presse de ce mois de février qui reprend bon nombre des thématiques des revues précédentes notamment sur les questions de parité (de genre ou sociale), de compétitivité de la recherche, et d’accès de tous·tes à l’enseignement mathématique, comme des triangles qui se répètent..

Recherche

Bel objet géométrique – nid d’abeille de type 5,3,∞ dans l’espace hyperbolique de dimension 3.

Le mot de géométrie évoque peut-être au premier abord des souvenirs d’école et des triangles, droites et cercles s’intersectant sur un tableau noir.
Pour le ou la mathématicien·ne, ces objets élémentaires ne sont qu’une infime partie d’un univers de figures complexes et de concepts raffinés dans des espaces exotiques, et dont la compréhension intuitive et la représentation sur un tableau noir sont bien souvent un défi. On y adjoint les branches voisines de la topologie, de la théorie des graphes, de l’algèbre et de leurs intrications. Les échos de la recherche de ce mois-ci soulèvent des coins de voile sur cet univers ; si la vulgarisation de preuves d’une technicité extrême atteint parfois ses limites, on trouvera toujours un certain plaisir à naviguer dans la terminologie imagée de la discipline.Dans Pour la Science🔒, on s’intéresse au problème dit d’interpolation : faire passer des courbes par des points donnés. Cette question trouve, comme chacun·e sait, d’innombrables applications en particulier en traitement du signal et science des données, mais possède aussi des ramifications théoriques en dimension quelconque. Dans un cadre permettant de formuler la simple question de « existe-t-il des courbes ayant certaines propriétés sympathiques et passant par un certain nombre de points ? » en des termes mathématiques bien définis, les géomètres Isabel Vogt et Eric Larson apportent une réponse complète dans une prépublication déposée sur arXiv. Une interview du chercheur Thomas Dedieu complète l’article pour discuter des implications de cette découverte majeure.

Représentation d’un nœud de huit, avant (2,1) câblage

Quanta magazine nous conte une des ces belles histoires d’interdisciplinarité entre mathématiques et informatique, autour d’un mariage inattendu de pavages en grande dimension et de la complexité algorithmique d’un problème.

Un pavage en trois dimensions

D’un côté, un problème de pavage, c’est à dire de recouvrement de l’espace avec des figures identiques, comme les carreaux carrés d’un carrelage ou les cellules hexagonales d’une ruche.

 

Ces exemples « du quotidien » sont en dimension 2, mais on peut se poser la même question pour des dimensions plus élevées ; au-delà de la dimension 3, on quitte alors les ruches et les bulles de savon pour le monde de l’abstraction géométrique, et trouver des « carreaux » qui pavent l’espace avec la plus petite surface de contact possible entre carreaux (il est bien connu que cela est réalisé par le pavage hexagonal en dimension deux) devient un problème délicat. D’un autre côté, il est question de la célèbre distinction P/NP, fondamentale en informatique, qui — simplifions à l’extrême — classifie des problèmes que l’on souhaite résoudre via un algorithme entre des faciles (P) et des difficiles (NP). Une conjecture concernant cette distinction répond au doux nom de UGC (Unique Games Conjecture). Pour progresser dans sa résolution, des informaticiens ont étudié des problèmes de coloriage de graphes, et — divine surprise d’application à un problème n’ayant à première vue rien à voir — en ont déduit dans les années 2000 une manière de construire des « carreaux » pavant efficacement (c’est-à-dire avec une faible surface) l’espace en grande dimension. Ces carreaux venus du monde de l’informatique ne possédaient pas les propriétés idéales recherchées par les géomètres, mais ont eu le mérite de montrer que de tels pavages efficaces étaient possibles, permettant à deux mathématiciens de construire à leur tour des carreaux « de meilleure qualité » (convexes) en ce mois de janvier 2023 (prépublication sur arXiv). Espérons, comme le souhaite l’autrice de l’article Quanta, que cette découverte géométrique puisse à son tour être réinterprétée pour obtenir des résultats nouveaux et inattendus dans le monde des graphes coloriés et de la conjecture UGC.

Enfin, signalons ce dernier article de Quanta Magazine qui s’attelle à la tâche de décrire un résultat récent de théorie des graphes sur les espaces de modules, un objet déjà passablement difficile d’accès pour le néophyte et qui convoque ici de conviviaux outils de théorie quantique des champs et de classes de cohomologie — résumons simplement en disant qu’une rencontre entre physique quantique et théorie des graphes donne espoir d’en savoir plus sur ces mystérieux espaces de modules dont on sait, semble-t-il, peu de choses.

Applications

Ce mois-ci « mathématiques » rime avec « frigorifique », comme en témoigne cet article de National Geographic. Le froid glacial aux États-Unis en ce début d’année a remis sur le devant de la scène la question : comment calcule-t-on la température ressentie ? Elle dépend de la température de l’air, mais aussi de la vitesse du vent et est obtenue par une formule mathématique. Si celle-ci n’est pas explicitée dans l’article, un précédent post de Météo France donne un tableau de valeurs de la température ressentie.

Cerisier tardif

Au micro de France Bleu Nord, les intervenants ont plutôt associé « mathématiques » avec « invasion dramatique ». En cause : le cerisier tardif, une espèce invasive qui a tendance à coloniser les forêts du nord de la France. Alors les chercheurs et chercheuses en statistique ou en écologie ont réfléchi à une stratégie pour éviter son développement dans des forêts peu touchées par ce phénomène. Pour ce faire, ils ont étudié les phénomènes aléatoires qui jouent sur sa croissance, à l’instar des tempêtes.

Mais comme chaque mois, c’est aussi à travers l’informatique que les mathématiques s’appliquent. Car l’intelligence artificielle a encore fait parler d’elle. Notamment dans El Pais (en espagnol) qui relate comment l’IA a rendu une œuvre à son auteur. Stockée dans la Bibliothèque Nationale d’Espagne depuis 1886, l’œuvre était restée anonyme. Finalement, grâce à un modèle d’intelligence artificielle, des études classiques ont ensuite attribué la comédie « La francesa Laura » au dramaturge espagnol du XVIe siècle Lope de Vega.

Dans une tribune, Le Monde🔒 donne la parole à Berna León, « doctorant et enseignant à Sciences Po et chercheur à l’Université de New York ». Alors que beaucoup font écho de leur préoccupation concernant l’utilisation de ChatGPT, lui établit un parallèle avec la calculatrice en cours de maths. L’intelligence artificielle ne remplacera pas l’humain dans la rédaction, comme la calculatrice n’a pas remplacé l’humain dans les mathématiques. Pour lui, il faut donc plutôt s’intéresser à l’aide que ce type de technologie peut nous apporter. Pour le chercheur Thierry Poibeau dans The Conversation, voit plutôt l’outil comme « un bon outil d’aide à l’écriture », et note qu’on parle beaucoup de l’usage de ChatGPT par les élèves et les étudiants, mais que « des enseignants utilisant l’outil pour rédiger leurs appréciations, ou des chercheurs produisant des articles scientifiques semi-automatiquement » pourraient aussi poser problème. Comme l’auteur de la tribune du Monde, il estime que la technologie est là et qu’il lui « semble donc primordial d’en parler, et de former les élèves et les étudiants à ces outils, pour expliquer leur intérêt et leurs limites, et discuter de la place qu’ils devraient avoir dans la formation ».

Vie de la recherche

Après un article de Mediapart🔒 en mars dernier sur le conflit opposant le PDG de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) Bruno Sportisse à une grande partie des chercheuses et des chercheurs de l’Inria au sujet de la stratégie de l’institut – de plus en plus « [concentrée] sur les thématiques “à la mode” » et dont la Revue de presse avait parlé – Le Monde🔒 revient à la charge avec une enquête intitulée À l’Inria, un climat délétère s’est installé à tous les niveaux.

a vue depuis le centre Inria de Sophia Antipolis

La vue depuis le centre Inria de Sophia Antipolis

L’enquête est accompagnée d’un article🔒 sur le fonctionnement de l’institut, « laboratoire de la transformation à venir du système de recherche », et d’un autre🔒 sur son budget, dont « [la] hausse relève d’un pari ». En plus de la stratégie, dont « l’existence de désaccords stratégiques entre une direction et certains chercheurs, […] est plutôt un signe de vitalité dans une organisation », il est question, cette fois, d’un conflit entre la direction générale et la commission d’évaluation, de souffrance au travail (l’inspection du travail a été saisie « pour diverses situations de risques psychosociaux, impliquant des personnels administratifs et, fait plus rare, de recherche » ; en novembre 2022, « le médecin du travail coordinateur a démissionné en juin 2022 et n’a toujours pas été remplacé »), de dysfonctionnements divers (nouveau logiciel de gestion qui n’était pas prêt, remboursement de frais de mission qui tarde, envoi des bulletins de paie interrompu pendant 5 mois, erreurs de calcul sur la paie, etc.). De son côté, la direction se plaint de « harcèlement inversé » : « un directeur regrette “l’action d’un groupuscule de personnes organisées et déterminées à déstabiliser, voire à harceler la direction de l’Inria”. Un autre évoque “un petit groupe qui intimide voire instrumentalise le mal-être de collègues afin de s’opposer à une politique” ». Comme le note le journaliste du Monde, « qu’un tel “groupuscule” existe ou non, cela ne rassure pas sur les difficultés de la direction à faire revenir la sérénité dans les labos. » Une pétition rassemblant plus de 600 signatures et intitulée « Sauver l’Inria » destinée aux ministres de tutelles de l’institut, c’est-à-dire à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et au ministre de l’Économie, « proposée par un collectif de personnels Inria, [et] portée par le SNCS-FSU, avec le soutien du SNTRS-CGT » est disponible en ligne.À propos de la « transformation à venir du système de recherche », The Meta News propose une interview en deux volets de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Sylvie Retailleau. Dans le premier volet🔒, « Les chercheurs sont fatigués des révolutions », elle annonce que « ce que nous souhaitons, c’est que le positionnement de chacun se renforce et se clarifie : organismes nationaux de recherche en agences de programme en charge des stratégies et programmes au niveau national, établissements d’enseignement supérieur en chefs de file et relais à l’échelle du territoire, pour une grande efficacité et lisibilité d’ensemble, au bénéfice des chercheurs et de la recherche ». Celle qui souhaite « inscrire [l’innovation] encore plus dans la culture académique », et assure partager l’analyse selon laquelle « les établissements ou les chercheurs ressentent une grande fatigue des appels à projets, surtout quand ces derniers visent à faire financer ponctuellement des missions pérennes » n’est cependant pas pour l’augmentation des crédits récurrents… Dans un second volet🔒, il est question de course à la publication, de congrès à l’autre bout du monde, de fraude (alors que la direction du CNRS vient de recevoir une « lettre acide » à propos de son instruction d’un cas de méconduite, relayée dans un billet du blog Sciences² de Sylvestre Huet). Il est aussi question de contrats postdoctoraux, que les jeunes thésard·es accumulent aujourd’hui, et de la mise en place d’une date limite de 3 ans, après laquelle on ne pourrait plus postuler à un postdoc. Ce second volet de l’interview se clôt à nouveau avec une question à propos des appels à projets, le média estimant qu’« un de leurs inconvénients est également cognitif : il favorise les effets de mode et le conformisme intellectuel ». La ministre évoque alors la mise en place d’un dispositif permettant la « recherche “à risque” » (mais ne serait-ce pas de la recherche tout court ?) alors qu’elle estime avoir « massivement réinvesti » dans le financement récurrent des laboratoires.

Maths et société

Le 23 janvier dernier, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) a remis son rapport annuel sur l’état du sexisme en France, et le monde scientifique tant professionnel qu’éducatif n’est pas épargné par le constat d’échec.
De quoi servir de fil rouge pour cette nouvelle rubrique de la revue de presse. Rouge, c’est d’ailleurs la couleur que l’association Femmes et Maths appelle les femmes scientifiques à revêtir le 8 mars prochain dans un communiqué : « la proportion de femmes scientifiques n’augmente pas, et on voit rouge ! » Le rapport du HCE explique, par ailleurs, que « 15 % des femmes ont déjà redouté voire renoncé à s’orienter dans les filières / métiers scientifiques ou toute autre filière / métier majoritairement composé d’hommes, surtout par crainte de ne pas y trouver leur place ou de s’y sentir mal à l’aise, mais aussi par peur du harcèlement sexuel pour 18 % d’entre elles. Un taux qui s’élève à 22% pour les 25-34 ans ».

Action coquelicot » le 8 mars 2023 pour rendre visibles les femmes scientifiques

Une fois n’est pas coutume, J’aime Lire (titre du catalogue de Bayard Presse pour les 7-10 ans) attire l’attention de cette revue de Presse suite à un petit encart dans son numéro de janvier, consacré au chiffre du mois, le 6 : « 6 ans, c’est l’âge où les garçons deviennent meilleurs que les filles en maths… alors qu’ils étaient au même niveau à l’école maternelle. Allez les filles ! » accompagnée de l’image idoine de la petite fille perplexe devant un tableau rempli d’équations… L’information est sourcée, bien que rendue ambigüe sous cette expression vulgarisée à l’extrême, et ne devrait malheureusement pas surprendre les lecteur·ices régulièr·es de cette revue de Presse ; Le Monde en parlait en août et Radio France en septembre. Ici, l’absence d’explication dans cet encart pose question, surtout étant donné le lectorat. Il n’est pas question de dissimuler la réalité d’une situation aux enfants, mais de s’assurer qu’ielles ont bien des clés pour les comprendre, même si cela implique d’admettre que les adultes ne sont pas infaillibles. En l’occurrence, les formateur·ices constatent qu’il existe un biais de la part des enseignant·e·s du premier cycle pour stimuler davantage les garçons en mathématiques, et les 18 heures de formation initiale à ce sujet dans les INSPE (Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation) ne sont pas toujours prises au sérieux. Un article de France Inter qui s’interroge sur « le décrochage progressif des filles en mathématiques » rappelle « que les professeur·e·s devraient être formé·e·s aux questions de l’égalité filles/garçons – c’est d’ailleurs une obligation ».

La présence de biais dans l’enseignement est renforcée par l’internalisation progressive des stéréotypes par les enfants [1]. Il est à redouter que la maladresse de ce « chiffre du mois » ne fasse que renforcer encore ce dernier processus, avec les effets déplorables pour les maths et la société que l’on connait. Notons par exemple que six est également le pourcentage de la population interrogée par le Baromètre Sexisme qui estime avoir « totalement confiance en l’école et l’université pour prévenir et lutter contre les actes et violences sexistes. »

Pour aller plus loin, on pourra consulter ce mémoire de Master 2 sur le traitement du genre dans les maisons d’édition historiquement catholiques. Sans pour autant chercher à circonscrire la responsabilité : il est malheureusement à craindre que ces biais soient présents à divers degrés chez chacun·e d’entre nous. Pour s’en prémunir, il faut commencer par en prendre conscience [2].

Pourtant la recherche en neurosciences et psychologie cognitive propose des pistes de réflexion pour renverser la situation. Un article de Papier Mâché revient sur une publication récente de chercheur·euse·s du centre de recherche en neurosciences de Lyon, qui se sont intéressé·e·s aux moyens de l’acquisition des aptitudes en mathématiques. En particulier, il s’agissait de comprendre quelle aire du cerveau serait liée au traitement des nombres : « L’équipe de recherche a exploré les relations entre la pratique des mathématiques à la maison, l’activité cérébrale notamment dans le sillon intrapariétal et le niveau des enfants en mathématiques. » Pour quelle conclusion ? « La pratique des mathématiques augmenterait la sensibilité aux chiffres dans le cerveau qui influencerait les compétences des enfants en mathématiques […] Toutefois, ce phénomène s’observerait uniquement lorsqu’il s’agit d’activités formelles (d’apprentissage) et complexes pour l’âge des enfants [8 ans dans l’étude] : lire et écrire les nombres jusqu’à 1 000 et effectuer des opérations sur des nombres à deux chiffres (10 et plus). » Le rapport du HCE propose ainsi d’agir notamment sur les mentalités également dans un cadre extra-scolaire en « [dégenrant] les jouets destinés aux enfants dès la naissance ». Un article de France Inter abonde d’ailleurs dans ce sens en interrogeant d’autres sources : au sujet des jeux, Manuela Spinelli, maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2 et spécialiste des études de genre explique : « On voit qu’on a tendance à offrir tout ce qui relève du scientifique, donc tout ce qui permet de développer les compétences spatiales logiques, et évidemment ce qui concerne la motricité aux garçons. Alors que les jeux qu’on considère comme des jeux pour filles sont ceux qui permettent de développer plus l’empathie, l’attention aux autres et le langage. »

Parmi les pistes explorées par le rapport du HCE pour améliorer la situation, le conseil recommande en particulier d’« inciter la presse écrite à améliorer à la fois la présence et la représentation des femmes dans ses pages en mettant en œuvre [(par exemple)] un principe d’égaconditionnalité ». C’est ce que se propose de faire un article du Monde🔒 en dressant un portrait de quatre femmes exerçant des carrières scientifiques « dominées » par les hommes. Curieusement, il est rare de lire que les femmes « dominent » les professions dans lesquelles elles sont surreprésentées… Cet aparté est d’ailleurs l’occasion de souligner que les mêmes problématiques de surreprésentations de genre se posent également au Québec. La Nouvelle Union relaie l’annonce de la journée des femmes au cœur des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STM), et parle ici de « métiers non-conventionnels » pour les femmes. Mais si la question du vocabulaire est un enjeu dans la lutte contre les discriminations de genre, l’absence de parité est, quant à elle, parfaitement établie. Six, c’est aussi « la part des femmes ingénieures dans le secteur du bâtiment et de la construction […] selon une étude réalisée par Femmes ingénieures, en 2019 »…

Les carrières et parcours présenté·e·s dans l’article du Monde ne sont pas exempt·e·s des autres biais sociaux, pas plus que les témoignages de certaines protagonistes. Toutefois la variété des parcours proposée permet de mettre en avant d’autres voies vers les carrières scientifiques que la seule classe préparatoire, avec les portraits de Céline Bellart, chercheuse en écologie qui a suivi l’intégralité de ses études à l’université et celui de Soizic Marc, maîtresse des forges, qui a intégré une école d’ingénieur·e après un BTS. Les témoignages et le choix des intervenantes auraient tout de même gagné à être mis en perspective avec certaines études afin de proposer aux lecteur·ice·s, et notamment aux jeunes filles, des outils de lecture et des pistes de réflexion. Ainsi, au détour d’interrogations sur son parcours dans les études supérieures et son passage par les classes préparatoires, Sixtine Watrigant, cyberdéfenseuse et ancienne élève au lycée Stanislas (Paris) explique : « Les garçons sont compétitifs, mais entre eux. Les filles sont valorisées, voire chouchoutées. » S’il est rassurant de constater que certaines femmes échappent aux discriminations sexistes, les témoignages recueillis dans de récents articles de Médiapart🔒 et de l’Express🔒 dressent un portrait nettement moins idéal de la place qui serait réservée aux femmes au sein de cet établissement.

Enseignement

Universités

Le Monde🔒 a consacré ce mois-ci un article aux inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. Dans cet article, il est plus particulièrement question de l’admission en master. En effet, il semblerait que la diversité sociale à l’université s’amenuise au fil des années, et particulièrement lors de l’entrée en master. Toujours dans Le Monde 🔒, on peut lire un article consacré à la vague de contentieux auxquels sont désormais confrontées les universités. Qu’il s’agisse de contester un refus d’admission dans un cursus ou la délibération d’un jury d’examen, de plus en plus d’étudiant·e·s saisissent désormais la justice pour faire valoir leurs droits. Dans le Nouvel Observateur🔒, un article est consacré aux études de mathématiques à l’université et à leurs débouchés. Ces formations étant fortement concurrencées par les classes préparatoires et les écoles d’ingénieurs, elles n’attirent pas les foules. Un enseignement de qualité y est pourtant dispensé et les débouchés sont de plus en plus nombreux avec l’émergence de nouvelles technologies.

Classes préparatoires
En février, les classes préparatoires étaient aussi présentes dans la presse. Dans une tribune que l’on peut consulter dans Marianne, des professeur·e·s de classes préparatoires expriment leurs inquiétudes concernant la difficulté croissante pour sélectionner les étudiant·e·s. Selon eux, les notes sont désormais si élevées pour une masse importante de lycéen·ne·s que cela ne permet plus de sélectionner efficacement les meilleur·e·s. Dans Le Monde🔒, Arnaud Pierrel, sociologue à l’École normale supérieure de Paris, évoque la part de reproduction sociale dans le cursus des classes préparatoires ainsi que dans l’accès aux grandes écoles. Dans Challenges🔒 il est question ce mois-ci de la classe prépa HEC. L’inquiétude plane quant à l’enseignement des mathématiques, car elles doivent subir une nouvelle réforme et le nombre d’heures hebdomadaires de mathématiques pourrait être divisé par deux.

Collèges et lycées

Claire Piolti-Lamorthe

href= »https://www.vousnousils.fr/2023/02/02/maths-au-lycee-a-la-rentree-2023-un-pansement-sur-une-jambe-de-boisapmep-669106″ rel= »external »>vousnousils, Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public, s’exprime sur le retour des mathématiques dans le tronc commun pour l’ensemble des élèves de première. Il s’agit pour elle d’un signal positif de la part du gouvernement qui reconnaît l’importance des mathématiques, mais ces mesures restent insuffisantes pour pérenniser l’enseignement des mathématiques. Notons enfin que le collège Fernand-Garandeau à La Tremblade, en Charente-Maritime, a obtenu une subvention pour le projet « MathixFlix, le temps et l’espace repensés pour les apprentissages en mathématiques » concernant l’enseignement des mathématiques, comme le relaye Sud-Ouest.

À l'honneur

Les médias sont toujours friands de médailles Fields. Dans son blog du journal suisse Le Temps, Marie-Claude Sawerschel publie un long entretien avec Hugo Duminil-Copin, médaillé en 2022. Il fait part de ses idées sur l’apprentissage des mathématiques, sujet qui l’« intéresse beaucoup », mais en ayant pris soin au préalable de dire que, n’étant pas enseignant, il n’a en la matière « aucune expertise autre que [son] expérience personnelle de pratique des mathématiques et d’enseignement à l’université ». Affirmant « qu’il n’existe aucune bosse des maths », il déplore les préjugés dont sont victimes « les jeunes filles et les personnes issues de milieux défavorisés ». Il décrit deux visions opposées des mathématiques : selon la première, majoritaire, « les mathématiciens et mathématiciennes découvrent quelque chose qui existe indépendamment d’eux », tandis qu’une petite minorité, dans laquelle il se range, estime que « nos axiomatiques sont assez imparfaites et qu’elles rendent plutôt compte de ce que nous sommes capables de faire ». Hugo Duminil-Copin parle du problème des 7 ponts de Königsberg, qu’il aime beaucoup, et l’entretien s’achève sur l’évocation du 5e postulat d’Euclide qui, selon lui, « se prête joliment à l’enseignement ». Il ajoute que « c’est un exemple concret où l’exigence d’axiomatique a des résultats spectaculaires sur notre compréhension du monde ».

Mouhamed Moustapha Fall

Le Prix Ramanujan 2022 pour les jeunes mathématiciens des pays en développement est revenu au sénégalais Mouhamed Moustapha Fall, annonce le journal sénégalais Le Soleil. Le lauréat, spécialiste des équations aux dérivées partielles, préside actuellement l’Institut africain des sciences mathématiques (AIMS, acronyme de la version anglaise du nom de l’institut).

Romane Dicko

Romane Dicko, championne du monde de judo en octobre dernier (catégorie plus de 78 kilos) et médaille de bronze au Grand Slam de Paris 2023 début février, est étudiante en licence de mathématiques à Sorbonne-Université. Dans un entretien à Ouest-France, elle raconte son quotidien entre tatamis et études, trouve des similitudes entre maths et judo, et annonce que la perspective des Jeux olympiques de 2024 lui fera « prendre son temps » pour la licence et le master qu’elle vise.

Bérangère Dubrulle

En lui décernant le Prix Irène Joliot-Curie 2022, l’Académie des sciences vient de désigner Bérangère Dubrulle comme « femme scientifique de l’année 2022 ». Spécialiste des turbulences, cette directrice de recherche au CNRS est notamment à l’origine d’un nouveau modèle de formation de planètes. On trouvera plus de détails dans le Journal du CNRS ou sur le site du CEA.

Une nouvelle destination est désormais offerte aux alpinistes : Mons Mouton ! Il s’agit d’une montagne située près du pôle sud de la Lune, qui vient de recevoir ce nom de baptême en l’honneur de la mathématicienne américaine Melba Roy Mouton (1929-1990).
<

Melba Roy Mouton

Cette pionnière de la NASA a été, de 1959 à 1973, cheffe programmeuse et cheffe de Section Production programme au Goddard Space Flight Center, un des principaux centres de recherche de l’agence spatiale américaine. Elle a ensuite dirigé un groupe de mathématiciennes surnommées les Human Computers, essentiellement composé de femmes afro-américaines, qui effectuaient des calculs complexes, comme ceux des trajectoires des premiers satellites Écho ou des orbites du Programme Apollo 11. Elle a également organisé des séminaires sur le langage de programmation APL. Le faire-part (en anglais) du baptême de cette montagne lunaire se trouve sur le site de la NASA.

Ludovic Tangpi

Le mathématicien camerounais Ludovic Tangpi, enseignant au Département de recherche opérationnelle et d’ingénierie financière de l’Université de Princeton, a remporté une bourse de l’American Mathematical Society. Ses travaux de recherche portent principalement sur l’analyse harmonique, la géométrie et la combinatoire, et sur des applications à la cryptographie et à l’informatique. Le site d’informations camerounais Le bled parle voit là « un exemple inspirant pour les jeunes générations ».

Ingrid Daubechies

Le prestigieux prix Wolf de mathématiques a été décerné pour 2023 à Ingrid Daubechies, professeure à l’université de Duke (États-Unis), pour ses travaux sur la théorie des ondelettes et l’analyse harmonique appliquée. L’information est donnée sur le site de l’Académie des sciences, où elle avait été élue en 2009 en tant que membre associée étrangère.

L’Espace Mendès-France, à Poitiers, est un centre de culture scientifique réputé. Il était dirigé depuis 31 ans par un mathématicien, Didier Moreau, pour qui l’heure de la retraite vient de sonner. Le journal Centre-Presse nous détaille cette belle aventure et précise que c’est Mariannig Hall, jusqu’ici directrice du CROUS de Poitiers, qui prend le relais. Le site de l’Espace Mendès-France décrit la cérémonie organisée à cette occasion, « une soirée très riche et émouvante » au cours de laquelle a été lu un message chaleureux d’Edgar Morin, regrettant de ne pouvoir être présent et adressant à un « ami fidèle de tout temps » un témoignage d’« espérance […] en un monde meilleur ».

Diffusion

On commence la rubrique Diffusion en annonçant que du 6 au 15 mars prochain se déroulera la douzième Semaine des Mathématiques. Vous pouvez retrouver des ressources pédagogiques créées par des professeur·es de l’académie de Lille sur ce site.

Jouer

Vous rappelez-vous du jeu 2048 ? Sorti en 2014, ce puzzle numérique proposait de combiner des puissances de 2 pour atteindre la onzième d’entre elles : le nombre 2048. Malgré son aspect aride, il a eu beaucoup de succès ! Il semblerait donc que les jeux à consonance mathématique intéressent plus que les mathématiques elles-mêmes… Peut-être que le succès des uns peut aider à atténuer la désaffection des autres ? C’est le pari du petit jeu Mini Morfi Math. Il propose au plus jeune d’entre nous une suite d’énigmes et de puzzles dans un monde amusant.

L’interface du jeu 2048

Écouter

Envolons-nous pour le Canada et sa province francophone de Québec. L’Orchestre Symphonique de Montréal propose une expérience passionnante entre musique et mathématiques, sous la forme d’un concert animé par un comédien. L’objectif : faire (re)découvrir des morceaux connus ou moins connus du répertoire classique et mettre en lumière les concepts mathématiques à la base de leur composition. Malheureusement ce concert a déjà eu lieu, mais Radio-Canada nous donne le programme, que l’on peut donc reproduire chez soi ! Pour compléter l’expérience, le site de l’Orchestre Symphonique de Montréal propose deux guides. Le premier présente l’orchestre dans toute sa grandeur : les différentes familles d’instruments, le chef d’orchestre et ses partitions gigantesques etc. Le deuxième, très réussi lui aussi, explore les liens entre musique, mathématiques, physique, biologie : qu’est-ce qu’une onde sonore et quelles sont ces caractéristiques ? Faut-il être géomètre pour composer de la musique ? Que se passe-t-il dans notre cerveau quand on écoute une symphonie ?

Visualiser

Sylvie Benzoni est mathématicienne, spécialiste des équations aux dérivées partielles, professeure à l’Université Claude Bernard de Lyon et directrice depuis 2018 de l’Institut Henri Poincaré à Paris (et ancienne membre de l’équipe de la Revue de Presse d’Images des Maths !). Ses chroniques pour le magazine Sciences et Avenir sont souvent relayées dans cette Revue de Presse. Ce mois-ci, Sylvie Benzoni nous parle de dimensions. Nous vivons dans un espace à trois dimensions, et notre esprit ne peut guère en visualiser plus. Cela peut devenir problématique pour visualiser des données statistiques issues par exemple d’études économiques, démographiques ou sociologiques : comment visualiser la répartition d’une population si l’on connait l’âge, la tension artérielle, le bord politique, la couleur des yeux, le temps moyen pour se rendre au travail, la taille des personnes interrogées ? Évidemment, les ordinateurs n’ont pas de difficultés systémiques à faire des calculs et de la géométrie dans des espaces à grandes dimensions, mais ils souffrent tout de même du fléau de la dimension. Plus la dimension est grande, plus les espaces sont vastes et désertés. Les données sont alors éparpillées et les méthodes d’apprentissage statistique échouent à extraire de l’information. Un des enjeux de l’informatique moderne est donc la réduction de la dimensionnalité. Pour les lecteur·rices intéressé·es, nous conseillons la lecture du court roman Flatland d’Edwin A. Abbott. Cette allégorie aux personnages géométriques raconte la découverte successive des dimensions 2 et 3. Récit inspiré par la société victorienne du 19e siècle, il mélange discours politique, mathématique et philosophique !

Parutions

En librairie

On se souvient de la sortie, il y a trois ans, du livre de Pierre-Louis Lions : Dans la tête d’un mathématicien. Fort de son succès, il vient tout juste de sortir en édition de poche. À fond la science en recommande la lecture et nous ne pouvons que plussoyer ! En 2020 les critiques et les commentaires avaient été unanimes (voir par exemple celle de Didier Nordon). Cet ouvrage « touchera indéniablement lectrices et lecteurs, qu’ils connaissent Pierre-Louis Lions ou qu’ils le découvrent, par sa sincérité et son authenticité… et tout cela sans cacher le quotidien d’un grand mathématicien amateur d’applications ! » écrivait Roger Mansuy. On le voit, « il ne s’agit pas d’un roman ou de littérature, l’intérêt du livre est ailleurs » comme le précisait Djalil Chafaï. Son intérêt est multiple. Il fait découvrir tout ce qu’un grand mathématicien peut nous apprendre !

Mileva Marić et Albert Einstein en 1912

Le 11 février dernier, c’était comme chaque année depuis 2015, la Journée internationale des femmes et des filles dans la science (IDWGIS). Ce n’est probablement pas un hasard si le livre de Laurent Lemire, Mileva et Albert Einstein : Les secrets d’un couple est sorti quelques jours avant. La question de savoir quel rôle aurait joué la première femme d’Albert Einstein dans sa production scientifique, souvent abordée par de nombreux auteur(e)s, a émergé en fait assez tardivement (voir par exemple cette critique d’un article de septembre 2018). Il faut aussi bien constater que tous les points de vue ne convergent pas et qu’il n’est pas simple de trancher. Certains ont été jusqu’à dresser un portrait très peu flatteur du physicien, d’autres sont restés plus prudents. Beaucoup affirment (écouter cette émission) que Mileva est une victime, comme d’autres femmes, de l’effet Matilda. Les Échos posent la question : « La première épouse d’Einstein, Mileva Maric, a-t-elle conçu avec lui la théorie de la relativité ? ». Aucun élément ne vous permettra de répondre à cette question !
La dissonance entre la célébrité d’Einstein et « l’oubli le plus complet » dans lequel a été reléguée l’image de Mileva méritait que l’on « [rétablisse] l’équilibre sans pour autant faire pencher la balance dans un autre sens avec excès » comme nous le dit l’auteur dans son prologue.

Revues et magazines

Vous ne trouverez pas en kiosque La Jaune et la Rouge, le journal des ancien·nes élèves et des diplômé·es de Polytechnique et tous les articles sont disponibles en ligne. Le numéro de février propose un abondant dossier mathématique coordonné par Stéphane Jaffard et Emmanuel Royer. Les mathématiques ont toujours occupé une place privilégiée à l’X et ce dossier de pas moins de dix articles « fait un point sur la place des mathématiques en France aujourd’hui et formule des propositions pour restaurer la place de notre pays en la matière au niveau international » dans la continuité des débats et échanges qui se sont déroulés en novembre dernier aux Assises des mathématiques. Emmanuel Royer présente d’ailleurs le bilan de ces Assises. Stéphane Jaffard pose la question : Quelle place pour les mathématiques en France aujourd’hui ? et Jean-Pierre Bourguignon dans son article Il est temps de stopper l’hémorragie mathématique tire à nouveau la sonnette d’alarme : « L’affaiblissement de l’investissement dans la formation tant supérieure que primaire et secondaire risque fort de compromettre l’avenir ». Pierre-Michel Menger analyse les caractéristiques et les fragilités du système français. Tous les articles sont grand public et aucun ne nécessite de connaissance particulière. L’ensemble constitue non seulement un point d’étape synthétique après la tenue des Assises des mathématiques, mais aussi un coup de projecteur sur les mathématiques en France, leur état, les perspectives.En mars le mensuel Pour la Science signale en une de couverture deux articles de mathématiques, celui de Clémentine Laurens, Un vieux problème de courbes enfin bouclé dont nous parlons par ailleurs dans la rubrique recherche et celui de Jean-Paul Delahaye, Cryptographie : les fonctions « à sens unique » existent-elles vraiment ?. Ils traitent de sujets bien différents, mais ils reviennent sur une actualité relativement récente. Les travaux d’Isabel Vogt et d’Eric Larson « qui s’inscrivent dans la continuité de développements récents » constituent « l’aboutissement de siècles de recherche » et « pourraient bien faire date dans l’histoire de la géométrie » lorsqu’ils seront complètement validés par la communauté mathématique. L’article de Jean-Paul Delahaye aborde des questions qui pourraient rapidement devenir ardues pour un·e lecteur·ice non initié·e … Ce n’est pas l’article le plus facile à lire parmi les rubriques Logique et calcul mais il est clair que l’auteur fait un gros effort de simplification pour être lisible par un public d’étudiant·es de licence. Il éclaire les questions rencontrées actuellement en cryptologie, l’importance des mathématiques sous-jacentes tout en montrant que « les problèmes mathématiques soulevés par la cryptologie sont à la fois cruciaux pour le fonctionnement de notre société de plus en plus numérique et, en même temps, d’une déconcertante difficulté ».

Pascal étudiant la cycloïde.
À ses pieds, à gauche, les feuillets épars des Pensées, à droite, le livre ouvert des Lettres provinciales.

On fêtera en juin le quatre centième anniversaire de la naissance de Blaise Pascal. C’est à cette occasion que Philosophie Magazine invite le mathématicien Cédric Villani. Il revient sur ses inventions et montre comment elles ont été à l’origine de ses Pensées dans son article, Blaise Pascal par Cédric Villani : le jeu de la science et de la raison, publié en février. Mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste, théologien … À l’envers de l’habitude de présenter chaque grande « partie » de la vie de Pascal de manière cloisonnée, il montre que cette classification n’a guère de sens, mais c’est encore plus évident aujourd’hui quand on se penche à nouveau sur son œuvre dans toutes ses dimensions. Il insiste un peu plus sur la naissance du calcul des probabilités et sa lettre à Fermat. En quelques pages il nous fait revivre avec une approche moderne et originale l’œuvre et la vie de ce génie, son style si représentatif de la tradition française : Élégance de l’esprit et de la langue, goût pour ce qui est audacieux et singulier, mais aussi grande fragilité, au propre et au figuré, sont des traits typiques de Pascal. Un bel éloge qui invite à relire l’ensemble de l’œuvre de Pascal !

Histoire

Le site BBC News Afrique consacre à Ératosthène un article extrêmement confus. Grand penseur de l’Antiquité, Ératosthène fit autorité à la fois comme astronome, géographe, philosophe et mathématicien (la maîtrise de nombreux champs de la connaissance était chose courante parmi les savants de l’époque). On lui attribue l’invention du mot géographie. Le crible d’Ératosthène (algorithme qui permet d’établir la liste des nombres premiers jusqu’à un entier donné) a longtemps été bien connu des lycéen·nes scientifiques. Un moment délaissé, il réapparaît avec la récente réforme du lycée, mais seulement dans l’option Mathématiques expertes de Terminale.

Ératosthène donne une leçon à Alexandrie

Mais la contribution la plus connue de ce savant est sans conteste le calcul de la circonférence de la Terre, objet de l’article de la BBC, écrit par le journaliste Edison Veiga et vraisemblablement traduit du portugais (ce qui peut expliquer en partie la médiocrité du style et de la syntaxe). On relève d’abord une contradiction flagrante entre le titre de l’article Ératosthène : le génie africain qui, il y a plus de deux mille ans, a prouvé que la Terre était ronde, et son contenu. On y lit en effet ceci : « un point pertinent de la découverte d’Ératosthène est qu’elle illustre que la notion de Terre sphérique était déjà en vigueur ». Le calcul d’Ératosthène ne prouve pas que la Terre est ronde, mais que l’idée qu’elle l’est était admise ! En fait l’article s’intéresse surtout au « débat » Terre plate vs Terre ronde et affirme la persistance d’irréductibles « terraplanistes » (plus couramment appelés platistes). L’auteur cite plusieurs historiens, mais ni leurs propos ni les siens ne sont particulièrement éclairants. Le reproche majeur que l’on puisse faire à cet article, c’est qu’il évite de rentrer dans les détails des outils mathématiques qui ont permis à Ératosthène de mener à bien son calcul et d’obtenir, avec les moyens rudimentaires dont il disposait, une assez bonne approximation de la valeur de la circonférence de la Terre. Ces outils mathématiques sont pourtant assez élémentaires et accessibles aux collégien·nes. Sur ce sujet tant de fois exposé, on trouvera des explications nettement plus fiables, plus claires et dépourvues de considérations ésotériques dans bien d’autres ressources, à commencer par la page Wikipédia consacrée à Érathostène.

C’est aussi une histoire maintes fois racontée que nous rapporte ce documentaire d’Arte : Comment les maths ont vaincu Hitler – La drôle de guerre d’Alan Turing. Le film est centré sur les années de guerre où Alan Turing et l’équipe de décrypteurs de Bletchley Park ont réussi l’exploit de venir à bout de la fameuse machine Enigma, utilisée par les nazis pour coder leurs transmissions et réputée inviolable.

Bletchley Park, site du Government Code and Cypher School

Comme dans l’article précédent, et comme c’est presque toujours le cas dans les ressources destinées au grand public, les détails mathématiques sont à peine effleurés. Cependant le récit est fiable et le film est de bonne facture. Il ne résiste pas à la mode actuelle consistant à évoquer l’intelligence artificielle, ce qu’il fait en considérant les machines de Turing comme « les premières intelligences artificielles », pluriel dont l’usage a tendance à se répandre. Le film s’achève par la description attendue des années d’après-guerre où l’homosexualité de Turing l’exposera aux persécutions de la puritaine Angleterre. Il sera contraint de subir une castration chimique et finira, comme on sait, par se suicider le 8 juin 1954.

La Carte Blanche d’Étienne Ghys dans Le Monde Science et médecine🔒 du 2 février rend très opportunément hommage à Pierre Varignon, mathématicien français injustement méconnu. C’est peut-être parce que ses contemporains, les grands Newton et Leibniz, ont attiré à eux toute la lumière. Varignon se voulut pourtant conciliateur dans la fameuse polémique qui les opposa à propos du calcul infinitésimal, en rédigeant des Éclaircissements sur l’analyse des infiniment petits et sur le calcul exponentiel des Bernoulli, ouvrage paru en 1725, deux ans après sa mort.

Pierre Varignon

Ghys présente Varignon comme « passerelle entre maths et physique » et cite le magnifique titre (traduit du latin) de sa « harangue d’entrée » (comprenez leçon inaugurale) au Collège royal (futur Collège de France) : « Du secours mutuel que se procurent la mathématique et la physique : la physique est incertaine sans mathématique, la mathématique à peine utile sans physique ». Et Ghys de suggérer aux concepteurs des programmes scolaires d’aujourd’hui de méditer cette belle devise ! Mais peut-être connaissiez-vous Varignon par le théorème très simple de géométrie plane élémentaire auquel il a laissé son nom : Dans n’importe quel quadrilatère, les milieux des quatre côtés forment un parallélogramme.

Y a-t-il une différence entre le réseau et la toile ? Ou, si vous préférez, entre l’internet et le web ? La confusion entre les deux est fréquente. On a donc écouté avec profit Anne Bellon, politiste, maîtresse de conférence à l’Université de Technologie de Compiègne, spécialiste des politiques numériques et de la régulation d’Internet, expliquer sur France Culture, dans l’émission économique Entendez-vous l’éco ? en quoi ce sont deux objets bien différents. Il s’agissait du premier épisode d’une série de trois consacrée à l’économie du numérique, et l’invitée a fait une rétrospective très intéressante des évolutions des communications électroniques, depuis les balbutiements des années 1970-1980 jusqu’aux actuels réseaux sociaux et autres GAFAM. On regrettera simplement qu’Anne Bellon ait omis de mentionner le nom de Louis Pouzin, ingénieur français qui, dès les années 1960, avait l’idée de créer un réseau maillé d’ordinateurs qui permettrait notamment la transmission des données, le travail en temps partagé et l’interactivité des applications. Cela se concrétisa dès 1975 dans le cadre du projet Cyclades : vingt-cinq ordinateurs répartis sur toute la France, un à Rome et un à Londres furent ainsi reliés. Mais les politiques coupent bientôt les financements et le projet est interrompu. Certain·es estiment que sans cette décision l’internet aurait été une création française.

Souvenir, souvenir…

L’aventure française du minitel (dont Anne Bellon a parlé) a, elle, tourné court : contre internet, le combat était perdu d’avance. En tout état de cause, Louis Pouzin est un des pères de l’internet (et des grands-pères du web !). Son histoire avait été racontée en 2006 dans Le Monde. On peut aussi écouter l’entretien qu’il a accordé en mars 2019 à France Info.

Arts

Présenté à la Berlinale 2023 dans la section Panorama, en marge de la compétition officielle, Das Lehrerzimmer (La salle des profs en français), film allemand du réalisateur İlker Çatak (page en allemand) vient d’y obtenir deux récompenses (prix des Cinémas d’Art et d’Essai et Label Europa Cinémas). Il met en scène une professeure de mathématiques et d’éducation physique confrontée à des événements dramatiques. Une série de vols commis dans le collège où elle enseigne va semer le trouble : stress, suspicion généralisée et psychodrames vont s’installer. L’enseignante veut transmettre aux enfants les valeurs de civisme ou de vie en collectivité, mais également les protéger à tout prix… Interrogé par Arte, le cinéaste, qui considère que « l’école est un microcosme qui représente au mieux la société », explique qu’il a tenu à tourner intégralement dans l’enceinte du collège. Le film n’est pas encore sorti en France et nous ne l’avons donc pas vu, mais il est vraisemblable que les mathématiques n’y seront présentes que fortuitement. Surtout que les professeur·es en Allemagne portent une double casquette, et que le personnage principal est aussi professeure d’EPS. Il n’empêche, une représentation de plus d’une professeure de mathématiques au cinéma, a priori on prend !

Pour finir

Une invitation à remplir les rues de mathématiques avec les Mathématiques Vagabondes. Depuis deux ans, cette association dont nous parlons de temps en temps dans la revue de presse organise divers évènements où se rencontrent mathématiques et art. À l’occasion de la Journée Internationale des Mathématiques, le 15 mars, les lecteurs et lectrices de cette revue de presse des alentours de Lyon sont invité·e·s à se rendre à la bibliothèque de Gerland pour dessiner à la craie dans les rues « pour créer une œuvre collective ». Les inscriptions sont ouvertes depuis le 1er mars, 8h.

Pour les non lyonnais·ses motivé·es par la mise en place de telles animations, un article était paru dans La Gazette de la SMF en octobre 2022 afin d’en expliquer le fonctionnement, pour que chacun·e puisse s’en inspirer !

Post-scriptum

L’équipe de la revue de presse recrute ! Si vous voulez participer, contactez les secrétaires de rédaction d’IdM.

Article édité par L’équipe Actualités

Partager