Février 2024

Publié le 1 mars 2024

C’est une revue de presse plus réduite que d’ordinaire que nous vous présentons en ce 1er mars. Il y a deux raisons à cela. La première est conjoncturelle : le site d’Images des mathématiques a connu d’assez sérieuses difficultés techniques qui en ont rendu l’accès impossible pendant plusieurs jours, nous privant ainsi de nos outils de travail habituels. La deuxième raison est hélas récurrente : l’équipe de rédaction manque sérieusement de bras, et cela ne s’améliore pas et nous amène à nous interroger sur la pérennité de notre rendez-vous mensuel.

Vous retrouverez malgré tout de nombreuses informations dans nos rubriques habituelles. Ce sont principalement (mais pas seulement) les rubriques Vie de la recherche et Enseignement qui ont dû être réduites.

La dernière rubrique devrait nous rendre optimiste, puisqu’il y est question de mathématiques et… d’amour ! Bonne lecture !

À la une

La lettre x, cette inconnue !

Dans sa rubrique Langue française, Le Figaro s’est demandé d’où venait l’usage universellement répandu de la lettre x pour nommer l’inconnue dans les équations mathématiques. L’article attribue à Diophante d’Alexandrie la première introduction d’un « nombre indéterminé ».

Viennent plus tard les mathématiciens du monde musulman qui, pour désigner l’inconnue, adoptent le mot arabe shay, qui signifie la chose. L’Andalousie aurait transformé ce shay en xay et, Descartes aidant, c’est finalement l’initiale de ce mot qui connaîtra la gloire…

Le Figaro ne semble pas avoir envisagé que René Descartes ait pu s’inspirer de ce qui était depuis plusieurs générations le blason de sa famille. Et il n’est fait aucune allusion à un réseau social tombé récemment dans l’escarcelle d’un milliardaire…

Recherche

Nous en parlions déjà au mois de septembre, le jeu de la vie de Conway est omnipériodique. Ce mois-ci, Le Monde s’empare à son tour du sujet. Le journal rappelle que seules des configurations de période 19 et 41 restaient à trouver, ce qui a été résolu l’année dernière par Mitchell Riley et Nico Brown.

Cribbage et sa période de 19

Comment repérer la falsification d’images ? Le Point donne la parole à Tina Nikoukhah dans une interview. L’occasion pour elle de rappeler sa thématique de recherche : l’identification de la falsification d’images. « Durant ma thèse, je me suis intéressée, grâce aux mathématiques, à l’impact des modifications ou des retouches qu’a subies une image en suivant les traces des opérations de compression JPEG. En gros, à chaque étape de la vie d’une image, un transfert, une sauvegarde, un envoi, celle-ci peut subir une compression JPEG. […] Mon algorithme permet de détecter ça, et donc de voir si l’image a été falsifiée ou non. […] C’est passionnant : j’aime bien mener l’enquête, je veux savoir ce qui est arrivé aux images, si elles ont été changées de couleur, compressées, si un filtre y a été appliqué… » Elle profite de cet entretien pour appuyer : « Il ne faut pas avoir peur de l’IA, la peur peut venir d’un manque de connaissance. Si vous avez peur de l’IA, c’est peut-être le signe qu’il faut aller faire un peu de maths et d’informatique pour comprendre comment ça marche ! » Ce n’est pas la première fois que la revue de presse parle de cette jeune chercheuse, voyez par exemple le mois dernier.

Vie de la recherche

Voici, brièvement présentées, quelques informations données dans les médias en ce mois de février.

Sur RFI : Un prix pour les mathématiciens africains : « Nous ne pouvons plus être des esclaves académiques »

Sur strategies.fr : Les femmes toujours minoritaires dans les études d’ingénierie numérique. En France, les femmes représentent 32% des étudiants en école d’ingénieurs, d’après l’étude Gender Scan 2023 publiée ce mardi 20 février. L’étude présente des pistes pour encourager la parité dans la filière.

Sur Swissinfo : Le descendant russe d’un mathématicien suisse demande l’asile. Alexander Euler, descendant du mathématicien suisse Leonhard Euler, ne souhaite pas être enrôlé dans l’armée russe – mais jusqu’ici, la Suisse ne lui a pas accordé l’asile.

Sur vie-publique.fr : À propos de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, que contient le texte après la décision du Conseil constitutionnel qui en a censuré une bonne partie ?

Sur France Universités, et sur le même sujet : Projet de loi Immigration : France Universités se satisfait de la décision du Conseil constitutionnel pour les mesures relatives aux étudiants internationaux, mais restera vigilante

Dans Le Monde 🔒 : L’intelligence artificielle s’attaque à la fraude scientifique.

Applications

En physique

Une équipe, notamment composée de chercheurs de l’École Normale Supérieure, a introduit « une stratégie entièrement expérimentale pour détecter et localiser les points faibles topologiques des structures mécaniques sans recourir à aucun modèle théorique ou numérique ». Leurs travaux ont été récemment publiés dans PNAS et ont fait l’objet d’un communiqué de presse (ici pour une version en français). On y apprend que la difficulté dans le domaine des matériaux topologiques est « le manque de moyens expérimentaux pour étudier la nature topologique d’un système ». Il faut « faire correspondre un modèle mathématique à un système physique », ce qui « limite la recherche aux matériaux pour lesquels nous disposons déjà d’une description théorique et constitue un goulot d’étranglement pour l’identification et la conception de matériaux topologiques ». Sur le blog de l’un des co-auteurs, Corentin Coulais, de l’université de Pennsylvanie, on peut lire : « nous avons démontré une méthode d’identification de topologie sans modèle, permettant la découverte de nouveaux matériaux topologiques en utilisant une approche purement expérimentale. »

Les trous blancs : réalité ou curiosité mathématique ? Voilà la question soulevée dans un article du Journal du CNRS. « Mais certains scientifiques commencent à croire très sérieusement à leur existence car ils sont parvenus à élaborer un scénario convaincant pour expliquer leur formation : d’après eux, les trous blancs constituent le stade ultime de l’évolution des trous noirs », apprend-on. Ces monstres cosmiques sont issus de la théorie de la gravitation quantique à boucle. « Il s’agit d’une des tentatives les plus abouties pour réconcilier la théorie de la relativité générale d’Einstein et la physique quantique. »

En cryptographie

Face à la potentialité d’un ordinateur quantique, comment renforcer les méthodes cryptographiques ? Dans une interview au Journal du CNRS, le chercheur à l’École Normale Supérieure de Lyon, Benjamin Wesolowki, répond.

Schéma du chiffrement symétrique

Il est lauréat de l’ERC Starting Grant 2023, « dans mon cas, le projet financé vise à solidifier les bases de la cryptographie fondée sur les réseaux euclidiens et les isogénies. Mon but est ainsi d’utiliser des théories mathématiques déjà connues, mais jusqu’ici peu employées dans le domaine de la cryptographie. » Il rappelle les conséquences possibles de l’accès à un ordinateur quantique sur les procédures de cryptographie actuelle, comme le logarithme discret. « En supposant qu’un individu ait accès à un ordinateur quantique suffisamment stable, il pourrait alors résoudre le problème du logarithme discret de façon efficace. » Il explique ainsi le cœur de ses travaux : trouver de nouveaux problèmes candidats. Ce qui a un intérêt dans une perspective post-quantique mais aussi de manière générale.

« Il y a plusieurs candidats, dont certains autour des réseaux euclidiens. Un réseau euclidien est un arrangement régulier de points dans l’espace, comme les points d’intersection d’une grille. Un des problèmes étudiés est le suivant : dans un maillage donné, quels sont les deux points les plus proches possibles ? Pour une grille carrée, en 2D, la réponse est facile à trouver. Mais si la grille n’est pas si simple, et dans une dimension 100, 200 ou 500, alors la tâche est beaucoup plus difficile. Même pour un ordinateur quantique – c’est du moins ce que l’on espère, et nous continuons de mettre cette hypothèse à l’épreuve. Un autre candidat repose sur les courbes elliptiques et les isogénies. Il s’agit de concepts mathématiques assez abstraits, donc plus difficiles à expliquer en quelques mots. Pour faire simple, dans certains cas, deux courbes elliptiques peuvent être reliées par une « isogénie » – une formule permettant de passer de l’une à l’autre. Le problème, que l’on suppose difficile, est alors le suivant : pour deux courbes données, peut-on trouver l’isogénie qui les relie ? »

Mathématiques et société

David Chavalarias (2019)

Cela fait 8 ans que David Chavalarias, directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France, a lancé Climate Tweetoscope un observatoire digital des débats autour de l’environnement afin d’analyser le discours climatosceptique. Dans une étude, le mathématicien et trois collègues prennent du recul sur les données récoltées pour analyser l’évolution des idées climato-dénialistes. « Alors que le réchauffement climatique s’intensifie dans chaque région du monde (l’année 2022 étant emblématique) et que ses impacts s’aggravent, cette décennie est critique pour engager résolument une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, nous assistons à une intensification de l’activité de groupes dénialistes et climato-sceptiques en ligne et à une révision à la hausse des objectifs d’émission de la plupart des majors pétrolières qui viennent pourtant d’annoncer des bénéfices annuels record (ex. BP). En France, l’intensification du militantisme dénialiste a été particulièrement marquée depuis juillet 2022 avec une triple actualité climatique : une série d’événements extrêmes, la tenue de la COP27 avec un poids fort des industries fossiles, et enfin la convergence des enjeux du réchauffement climatique avec ceux de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine », peut-on lire dans l’abstract de l’étude. David Chavalarias était l’invité des Dessous de l’Infox sur RFI.

Enseignement

Ce mois-ci, la rubrique enseignement rend compte des inégalités de genre en mathématiques dès l’école primaire, d’une nouvelle polémique politique, du mécontentement des parents d’élèves et des professeur.es, et de l’actualité de l’enseignement supérieur.

L’institut des Politiques Publiques, en partenariat avec la chaire Femmes et Sciences, publie une note révélant un décrochage des filles en mathématiques au milieu du CP, amplifié en CE1, rapportent le Figaro et le Figaro étudiant.

Mediapart révèle l’affaire Oudéa-Castéra. L’ancienne ministre de l’Éducation aurait fait la promotion d’une école privée hors contrat, contre l’avis des services de l’Éducation nationale, quand elle était ministre des Sports, rapporte le Parisien.

L’anecdote inspirante de ce mois-ci est la reconversion de consultant en architecture à prof de maths, à découvrir ici. Tout le corps enseignant n’est malheureusement pas aussi satisfait. Ouest France, France Bleu, la Nouvelle République, Sud Ouest et l’Humanité rapportent les protestations des professeur.es et des parents d’élèves contre le nouveau projet de réforme du ministère de l’Éducation nationale, en particulier contre la création de groupes de niveaux en 6e et 5e, notamment en mathématiques.

L’Étudiant publie son classement annuel des prépas scientifiques, à retrouver ici. Autre actualité concernant le supérieur, le Monde consacre un article à la double licence maths-physique de l’université Paris-Saclay.

Pour finir sur une note constructive, Thot Cursus explique les bénéfices de l’abaque dans l’enseignement des maths.

À l’honneur

Nicolas Bergeron

15 février 2024 : le géomètre Nicolas Bergeron est décédé à l’âge de 48 ans. L’École Normale Supérieure lui a rendu hommage. Il a marqué les esprits par sa bienveillance, la brillance de ses travaux, et ses efforts pour partager l’amour des mathématiques avec tous.

Le 12 février, le Conseil départemental de la Haute-Garonne a organisé une soirée cinéma-débat autour de Maurice Audin, mathématicien qui a soutenu la cause de la décolonisation de l’Algérie, et a été tué par l’armée française. Un collectif milite à Toulouse pour faire vivre la mémoire de Maurice Audin et celle de son épouse Josette, qui a combattu à ses côtés pour l’indépendance et a ensuite consacré toute sa vie à se battre pour que la vérité soit dite sur la torture érigée en système par l’armée française et les innombrables disparitions forcées. Ce collectif essaye notamment, hélas sans succès jusqu’ici, de convaincre la municipalité de Toulouse de donner le nom de Josette et Maurice Audin à une place de la ville actuellement sans dénomination. Après la projection du film Maurice Audin, une histoire de mathématiciens, en présence du réalisateur, François Demerliac, un débat a réuni la juriste Catherine Teitgen-Colly et les historiens Gilles Manceron et Benjamin Stora. L’Association Josette et Maurice Audin (AJMA) soutenait cette initiative. Son président, le mathématicien Cédric Villani, a adressé par vidéo un message de soutien aux organisateurs et aux plus de 400 participants à cette soirée. La Dépêche a rendu compte de l’événement.

Désireux de renforcer la coopération avec l’Afrique en mathématiques, le CNRS vient de créer une Chaire CNRS-AIMS de mathématiques. Ce n’est pas la première collaboration avec l’African Institute for Mathematical Sciences. Le responsable de la chaire en France, Ludovic Rifford, professeur au Laboratoire Jean-Alexandre Dieudonné, explique : « L’idée de la chaire, c’est d’aller sur le terrain et d’y rester afin d’établir des relations très fortes avec les gens. De prendre le temps de comprendre, de réfléchir aux choses à développer et surtout à ce qui serait le plus adapté à la situation locale. C’est vraiment ça qui m’intéresse. » Les autres coordonnateurs du projet sont Moustapha Fall du Centre AIMS-Sénégal et Stéphane Tchuiaga, associé au Centre AIMS-Cameroun.

Pour encourager plus de projets de collaboration mathématique, l’Épijournal de géométrie algébrique (Epiga) annonce la création du prix Demailly pour la science ouverte en mathématiques, récompensant des projets d’édition scientifique, de collaboration ou de création de logiciels libres en mathématiques. Il vise à récompenser les projets non lucratifs innovants, impactants, et durables dans le temps. Rappelons que Jean-Pierre Demailly, mathématicien, professeur à l’université Grenoble Alpes, membre de l’Académie des sciences, est décédé en mars 2022.

Jean-Pierre Demailly

Claire Voisin

Honneur à Claire Voisin, lauréate des prix Frontiers of Knowledge et Crafoord 2024 pour ses travaux en géométrie algébrique et symplectique. Elle crée le lien entre deux domaines de la géométrie qui ont récemment gagné en importance grâce à leurs applications en physique quantique. Félicitations à elle !

Le Lézard donne la composition du comité consultatif pour le Prix des Olympiades mathématiques en intelligence artificielle. Ce prix, qui vient d’être créé par XTX Markets, une « société de technologie financière », est doté de 10 millions de dollars. Le comité consultatif regroupe du beau monde : on y trouve les médailles Fields Timothy Gowers et Terence Tao, aux côtés de Po-Shen Loh, Dan Roberts et Geoff Smith, dont Le Lézard donne les biographies.

Diffusion

Impossible d’écrire la rubrique diffusion sans parler de l’initiative Pop Math. L’objectif de Pop Math est de rassembler tous les événements POPulaires sur les MAThématiques en Europe sur une seule carte, qu’ils soient en présentiel ou en distanciel.

Les amateur⋅rices de problèmes logiques devraient apprécier cette initiative du journal Le Monde. Chaque semaine, le mathématicien Mickaël Launay soumettra aux lecteur⋅rices un problème logique qui remplacera la rubrique « Affaire de logique » qui était animé auparavant par Gilles Cohen, décédé en novembre dernier.

Donner envie de faire des sciences

Ce mois-ci, on retrouve sur The Conversation un article qui s’interroge sur la manière de redonner le goût des sciences aux enfants.

Pour cela, tous les supports sont bons pour faire des mathématiques. Un article publié sur CNRS, le journal fait remarquer que les bandes dessinées scientifiques font de plus en plus d’adeptes.

Dans Actu.fr (Occitanie), on peut lire qu’un musée Fermat est attendu en juillet 2024 en Tarn-et-Garonne, à Beaumont-de-Lomagne. Ce musée alliera récit historique, scientifique et ludique.

Un support original : la farine

Toujours à Beaumont-de-Lomagne (Tarn-et-Garonne), La Dépêche a constaté que les élèves de l’école Sainte-Lucile ont pu expérimenter les mathématiques à l’aide d’un support original : la farine !

Des spectacles et des expositions

Comme d’habitude, la presse du mois de février présente de nombreuses expositions et de nombreux spectacles sur le thème des mathématiques qui ont eu lieu sur tout le territoire. Le média 76actu présente Yves Meret, professeur à Rouen, qui propose des spectacles combinant mathématiques et magie.

À Calvi, en Corse, des élèves ont parlé à Corse Net Infos de l’exposition « Pourquoi est-on penché dans les virages ? », évoquée dans notre revue de presse de septembre 2023.

Le théâtre du Rideau Vert à Montréal (Canada) a repris du 24 janvier au 24 février 2024 la pièce La Machine de Turing, consacrée à la vie d’Alan Turing, dont notre revue de presse avait parlé en décembre 2018 lors de sa création. Le Délit (« seul journal francophone de l’université McGill ») lui consacre un long article.

N’hésitez pas à ouvrir vos agendas. Le journal l’Est Républicain annonce une conférence de Rémi Coulon le 7 mars 2024 dans le cadre du cycle de conférences Sciences et société. Son exposé portera sur les géométries non-euclidiennes. Il sera possible de la suivre en ligne sur Youtube.

Sur RadioFrance, on retrouve un podcast consacré à Hervé Le Tellier, mathématicien et écrivain français, président de l’OULIPO, prix Goncourt 2020 pour L’anomalie.

Safia Kessas, journaliste en Belgique, est l’autrice du documentaire Électrons libres, qui met à l’honneur six brillantes scientifiques venant des quatre coins de l’Europe. De nombreux médias s’en sont fait l’écho (Le soir, TV5Monde…)

Parutions

Après la sortie de Matheuses à la fin du mois dernier (voir les parutions de janvier), un ouvrage unique en son genre qui ne peut laisser les lecteurs indifférents, les premières réactions se profilent. Et elles sont intéressantes !

La revue Tangente, qui cible en premier le public des collèges et des lycées, a mis, dans son numéro de février, en bonne place (avec un rappel en première de couverture : « Matheuse ; L’enquête illustrée »), sa « note de lecture » signée par Élise Janvresse, intitulée Plusieurs décennies de recherches sur les inégalités. Elle rappelle que l’ouvrage est fondé sur une enquête de terrain auprès de quarante-cinq adolescentes ayant choisir de faire le stage de maths Les cigales et les résultats de plusieurs décennies de recherches sur le genre, les inégalités sociales et les maths. Elle explique aussi que c’est un livre sur les maths autant qu’un livre pour faire des maths avec à chaque chapitre un problème ouvert abordable dès le lycée. Un encart précise que « Matheuses » est l’aboutissement du projet lauréat de médiation scientifique en maths lancé lors des Assises des mathématiques fin 2022. Il est certain que ce livre intéressera le jeune public, mais aussi les professeurs, les parents. Il propose à la fin de chaque chapitre une rubrique « sources et ressources » et « pour en savoir plus » (ce n’est pas si fréquent) qui permet au lecteur de prolonger et compléter sa lecture.

Dans son article (réservé aux abonnés du Monde), David Larousserie entre directement dans le vif du sujet et parle d’un livre « militant ». La première impression est celle d’un ouvrage « bon enfant » parlant des femmes en mathématiques et de leur faible représentation. Mais il s’agit en fait d’un essai original sur la forme, sociologique et féministe sur le fond qui vise à secouer les esprits et pousser à corriger cette situation, par des analyses décapantes, des propositions osées et des critiques acerbes. Il souligne que la discipline ne saurait évoluer sans transformation interne, sans doute douloureuse, des pratiques. Il note que l’ouvrage pourrait susciter de nombreux débats au sein de la communauté mathématique. Dans un autre article publié le même jour, Pourquoi si peu de filles en mathématiques ?, The Conversation retient principalement les éléments de réponses qu’apporte Matheuse à cette question de la représentation féminine dans le monde des maths. Il reproduit la conclusion de l’ouvrage conçu aussi bien comme une enquête sociologique qu’un cahier de maths. La Nouvelle République souligne de son côté la triple identité de l’ouvrage, qui est d’être à la fois un livre de mathématiques, un livre féministe, une enquête sociologique et parle d’un véritable appel à un changement profond pour permettre aux filles d’avoir les destins qu’elles méritent. Cette recension est aussi l’occasion pour le journal de parler de la Journée internationale des femmes et des filles de science. À intervalles réguliers le quotidien traite d’ailleurs des inégalités face aux maths ou du manque de représentation féminine dans les métiers d’ingénieur, dans les sciences, l’environnement ou la recherche. Geek Junior qui s’adresse principalement à des collégien(ne)s interview Clémence Perronnet pour présenter Matheuses, un formidable livre illustré de sociologie et de mathématiques. Après sa lecture, surtout si tu es une fille, ta vision des mathématiques en sera définitivement changée. C’est également une interview que livre le Café pédagogique pour parler de Matheuses, un ouvrage de recherche au format novateur. Clémence Perronnet était également présente début février dans Zoom zoom zen, l’émission de France Inter Les matheuses, l’avenir des mathématiques ?. Beaucoup de « matheuses » vivent encore une exclusion dans le domaine des sciences. Comment rééquilibrer la balance ?

Par ailleurs les autrices multiplient les évènements, rencontres, présentations, conférences autour de leur travail (voir par exemple ici ou ). C’est un point de départ idéal pour lancer des discussions, des échanges de points de vue ou des animations auteur des questions cruciales, mais souvent mal abordées de parité dans les métiers scientifiques.

En kiosque

Démystifier les maths pour inciter les jeunes à étudier les sciences : C’est le titre d’un article que vous trouverez dans le dernier numéro hors série de Sciences et Avenir. Tout le monde sait que les mathématiques sont de plus en plus délaissées par les élèves des milieux les moins favorisés ainsi que par les filles comme le pointent toutes les récents études. Bien des élèves pensent qu’il faut être bon en maths pour être bon en sciences pointe Clémence Perronnet qui regrette que les mathématiques soient érigées comme la mesure de l’intelligence scolaire. Colombe Saillard, doctorante au Collège de France estime que démystifier les mathématiques serait peut-être un premier pas vers un plus fort engouement des jeunes pour les sciences.

Éléphant dans la pièce
Illustration générée par ChatGPT 4.0 et DALL-E 3.0.

Le numéro de mars de Pour la Science plonge les lecteurs dans le monde des IA avec en première de couverture une question qui revient souvent en ce moment : Les algorithmes des IA peuvent-ils comprendre notre monde ? Mais c’est de l’article de Jean-Paul Delahaye dont il est question au début de l’éditorial : Les IA génératrices d’images sont fascinantes. Mais parfois déroutantes et la question du « bon sens » dont elles semblent manquer dans certaines situations est abordée par ailleurs dans le magazine. Les progrès spectaculaires enregistrés ces dernières années reposent sur des techniques et des méthodes développées très récemment nous dit l’auteur qui explique pas à pas comment les prouesses que l’on obtient aujourd’hui sont possibles. Comme d’habitude la bibliographie donnée en annexe permet au lecteur qui le souhaite d’aller plus loin.

En librairie

Rap & Mathiques, un livre pour réapprendre aux collégiens à aimer les mathématiques ? C’est ce que nous dit 20 minutes dans un article mis à jour le 15 février. Depuis plusieurs années Antoine Carrier (voir ici) a eu l’idée, sympathique, d’associer rap et mathématiques et il surfe sur le succès. Il avait été invité sur France TV en 2018 et sur France Bleu récemment.

Avant de terminer, signalons que Nicolas Bacaër vient de mettre en ligne Les lauréats du prix Abel, qui sont les textes de vulgarisation publiés par l’Académie norvégienne des sciences et des lettres. Il précise qu’il n’est pas prévu d’imprimer et de vendre cette traduction. Rappelons qu’il a traduit dans de nombreuses langues ses ouvrages Histoires de mathématiques et de populations (Éditions Cassini, Paris, 2009) et Mathématiques et épidémies (Éditions Cassini, Paris, 2021) ainsi que, récemment, l’ouvrage d’Etienne Ghys Une singulière promenade mathématique (Éditions Cassini, Paris, 2023), et celui de Mordechai Ben-Ari Surprises mathématiques.

Histoire des mathématiques

Un dodécaèdre romain retrouvé en Angleterre, enfoui dans un champ proche de Norton Disney dans le Lincolnshire ! Et ce ne serait pas le seul d’après l’auteure de l’article de Slate reprenant l’information de Vice. Elle poursuit en précisant que « généralement en bronze ou en pierre, ces petites formes datent du iiᵉ au ivᵉ siècle après J.-C. et chacune de leurs faces porte un trou circulaire en son centre. Depuis plus de 300 ans, les spécialistes en découvrent un peu partout en Europe. » Mais à quoi servent ces étranges objets ? Nul ne le sait, aucune hypothèse sérieuse ne peut être énoncée. Certains pensent à une utilisation pour des pratiques religieuses ou rituelles ; au total, d’après le média, près de cinquante théories différentes concernant l’utilisation de ce polyèdre auraient été formulées. Il pourrait s’agir d’une arme, d’un jouet, ou encore d’un bougeoir… Personne n’en sait rien, car ces dodécaèdres « ne portent aucune trace de texte ni de chiffres qui pourrait fournir des indices sur leur utilisation. La plupart des dodécaèdres ont été dénichés dans l’ancienne Gaule, c’est-à-dire le territoire correspondant aujourd’hui au nord de l’Italie, à la France, la Belgique, l’Allemagne et au sud des Pays-Bas ». Même si nous ne connaissons pas encore l’usage de tels dodécaèdres, cette découverte dans les Midlands est importante et les archéologues l’ont très vite compris, comme le précise l’un d’eux, Richard Parker, membre du groupe d’histoire et d’archéologie de Norton Disney : « Pour tout le monde, c’était un moment surréaliste, car nous nous attendions à trouver des poteries romaines, et la découverte d’un très gros morceau de métal est extrêmement inhabituelle. Mais nous avons su très vite que nous avions trouvé quelque chose d’assez important » (propos traduits par Marc Moyon à partir de l’article de Vice). Notre curiosité est piquée, tant ce vieil objet est remarquable.

Utilisation du point décimal chez Bianchini
Seconde page des tables de tangente de Bianchini, montrant les points décimaux dans les colonnes d’interpolation (manuscrit conservé à la Biblioteka Jagiellońska, Cracovie, BJ 556, f. 52v).

L’utilisation du point décimal serait plus ancienne que nous ne le pensions jusque-là ! Dans un récent article publié dans Historia Mathematica et sur le site de son université, notre collègue Glen Van Brummelen, de la Trinity Western University, date des années 1440 la première apparition du point décimal, alors que, jusqu’à maintenant, le plus ancien document le faisant apparaître était une table des sinus de l’Astrolabium du jésuite Christophe Clavius (1593). Ainsi, le point décimal serait apparu plus de 150 ans avant ce qui était communément admis. En effet, l’historien des mathématiques canadien donne à voir les travaux d’un marchand vénitien et astronome, Giovanni Bianchini (1410-environ 1469), avec l’utilisation de son propre système de fractions décimales utilisé en métrologie et en astronomie sphérique. Plusieurs revues ou sites se sont fait l’écho de cette importante découverte comme Nature (en anglais) ou encore Geo ou le média d’actualité scientifique en ligne Le Blob (en français). C’est en réalité le système de Bianchini qui a été réutilisé chez Clavius, plusieurs décennies plus tard. Dans son article, Glen Van Brummelen (GvB) détaille ses lectures de Bianchini et notamment les exemples donnant le sinus et le cosinus d’un arc donné, ce que Mathilde Ragot résume à juste titre dans son article pour Geo comme « le chercheur [GvB] a remarqué que le lointain astronome [Giovanni Bianchini] y introduit un nombre avec un point au milieu : 10.4. Plus encore, il y montre comment le multiplier par 8, suggérant qu’il savait comment utiliser le système de numération décimale, rendant les nombres non entiers (fractions) aussi faciles à calculer que les entiers » : la vertu aujourd’hui bien connue de la numération décimale et du point décimal. Anaïs Poncet (le Blob) conclut que « la découverte de Bianchini suggère que les progrès mathématiques ne se limitaient pas aux astronomes professionnels, mais pouvaient également provenir de domaines apparemment éloignés tels que le commerce », ce que la communauté des historien·ne·s des mathématiques tend de plus en plus à montrer, au-delà de ce seul exemple remarquable : la pratique des mathématiques ne se limite pas aux seul.e.s mathématicien·ne·s dit·e·s professionnel·le·s.

Arts et maths

La danse et les mathématiques se sont rencontrées plusieurs fois au cours de ce mois de février !

La Fondation Blaise Pascal nous raconte une success story, celle des différents spectacles de danse mathématique produits par Nancy Scherich, mathématicienne et danseuse.

Puisque nous sommes entrés dans la danse, restons-y, en nous tournant vers Nantes. Est-ce le célèbre bal, sur le non moins célèbre pont, qui a inspiré le Laboratoire de Mathématiques Jean Leray (LMJL), la Maison des Mathématiques de l’Ouest (MMO), la Direction de la Culture et des Initiatives (DCI) et la compagnie de danse Ex Novo ? Toujours est-il que, dans le cadre de la 8e édition de la Nuit Blanche des chercheur.es, ces partenaires ont proposé au mathématicien Benoit Grébert et au danseur et chorégraphe Antoine Arbeit de dialoguer sur le thème de la danse et des mathématiques, aboutissant à la création d’un spectacle commun. La rencontre est à suivre sur la chaîne YouTube de l’université de Nantes.

La troisième rencontre entre danse et mathématiques est plus inattendue, puisqu’elle a lieu sur le site d’un établissement bancaire, la BPI. Ce sigle nous avait induits en erreur : alors que nous pensions nous rendre à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, c’est la Banque Publique d’Investissement qui nous a ouvert ses pages web ! Et nous y avons fait la connaissance de Blanca Li, danseuse, chorégraphe, metteuse en scène, réalisatrice et actrice, qui « s’est confiée sur son rapport à la création et à la danse ». Et les mathématiques, direz-vous ? Eh bien Blanca Li en parle puisqu’elle cite des propos de David Bessis, extraits de son livre Mathematica, maintes fois évoqué ici (par exemple en janvier 2022). L’artiste s’en inspire pour décrire son propre processus de création.

En découvrant des œuvres de l’artiste hollandais Maurits Cornelis Escher ] (1898-1972), tout le monde sent bien qu’il y a des mathématiques qui s’y cachent. La radio suisse LFM annonce une exposition consacrée aux interactions entre l’art et la science et présentée du 19 février au 26 avril à l’Université de Genève. « Les disques hyperboliques et les pavages [d’Escher] plongeront le public dans de drôles de méandres mathématiques ».

Pour finir

Faudra-t-il créer dans notre revue de presse une nouvelle rubrique Amour et maths ? En tout cas mettre l’amour en équations semble être très tendance… Sur France Inter, Maïa Mazaurette a tendu son micro au mathématicien Laurent Derobert, qui dit avoir inventé les « mathématiques existentielles », qu’il qualifie de « douces, poétiques et homéopathiques » et qui sont censées « exprimer avec des équations des émotions et des pensées » et « traduire notre vie […] en conjectures et théorèmes ». L’animatrice a dit qu’elle n’avait pas tout compris, et on peut penser que quelques auditeurs auront été dans le même cas.

De son côté, Laurent Pujo Menjouet, mathématicien et maître de conférences à l’Université Lyon 1, « pense avoir réussi à modéliser la relation amoureuse », nous dit Le Progrès, dans son édition du 14 février, jour de la Saint-Valentin. « Sa formule serait même capable de prédire la durée de vie des couples », ajoute le journal.

Ces deux chercheurs ont beaucoup travaillé, mais dans quel but ? Qu’on nous permette de penser que, bien plus que des mathématiques de l’amour, ce qu’il serait bon de viser, c’est l’amour des mathématiques.

Post-scriptum

L’équipe de la revue de presse a grand besoin de renfort ! Si vous voulez participer, n’hésitez pas à nous contacter. Éplucher le web à la recherche de divers faits mathématiques, vulgariser les derniers résultats pour la rubrique Recherche, tenir le compte des annonces et contre-annonces des responsables politiques pour la rubrique Enseignement, relever les évènements mathématiques auxquels ont participé des classes ou le grand public pour la rubrique Diffusion, etc. Il y a du boulot et il y en a pour tous les goûts !

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