Lycée : les maths en soins palliatifs
le 18 novembre 2018 à 12:11, par Thibault Lefeuvre
Votre article est sobre et — je crois — profondément juste. Si je puis ajouter quelques mots sur ma propre expérience, je dirais que le mal que vous décrivez a très largement gagné les études universitaires. J’enseigne en L2 de Mathématiques (en fait en double licence Maths-Physique, donc à des élèves censées être sélectionnés parmi les meilleurs de leur université pour pouvoir avaler un programme qui, peu ou prou, est celui de prépa), et combien de fois suis-je tombé sur les mêmes erreurs, sur la même incompréhension abyssale, que vous évoquez ? Beaucoup d’élèves ne maîtrisent toujours pas correctement le calcul algébrique (erreurs de signe, de parenthésage, difficultés à réduire des fractions, à simplifier des expressions, à manipuler des inégalités) ; le calcul de la dérivée d’une fonction composée — qui n’est plus au programme du lycée me semble t-il — telle que $(1+x^2)^n$ pose problème à un tiers des étudiants ; la manipulation des puissances se fait au petit bonheur la chance ; des limites comme $\lim (1+1/n)^n$ ne sont que trop rarement calculées correctement.
Autrement dit, parmi ces élèves qui ne maîtrisent pas les fondamentaux du calcul au lycée, certains poursuivent dans les études supérieures et trainent avec eux leurs lacunes, sans jamais parvenir à les combler. Et c’est à ceux-là même qu’on enseigne des notions aussi complexes que les séries de fonctions, les séries entières, la réduction des endomorphismes, etc. qu’ils peinent déjà à appréhender, qu’ils seront pour la plupart incapables de manipuler. Bien sûr, le niveau est hétérogène et certains étudiants, qui, à force de travail, parviennent à gommer leurs lacunes, s’en sortent très bien — il ne faudrait pas y voir un tout homogène. Seulement, la marche est devenue tellement haute entre le faible niveau d’un élève au sortir du lycée et le niveau demandé par les universités, qu’un élève « moyen » ne peut que se noyer. Bien sûr, c’est d’une hypocrisie sans nom, car la plupart valideront leur année (on peut toujours s’arranger pour avoir une moyenne à 10, « toute tentative de recherche, même infructueuse, sera valorisée » ...) mais seront réorientés par la suite vers des filières bien moins théoriques et plus professionnalisantes. Ce qui, incidemment, dévalue le niveau de la licence, mais c’est encore une autre affaire.
Ce qui m’abasourdit — et cela me semblait d’autant plus flagrant lorsque j’enseignais en L1, l’année dernière —, c’est qu’il ne semble pas (ou plus ?) exister cet « esprit mathématique » qui préside à l’enseignement, ce doute que vous évoquez, l’idée que toute affirmation doive nécessairement être prouvée. Tellement de choses sont jugées « évidentes » ou démontrées par des « on voit que », des raisonnements qui n’ont ni queue ni tête, exprimés dans un français maladroit qui souvent n’en est pas un (les accents ont-ils disparu de la langue française ?), parfois à l’aide de quantificateurs employés dans un ordre quelconque, comme s’ils n’étaient là qu’à titre décoratifs, comme des arabesques.
Je sais bien que votre billet porte sur l’enseignement dans le secondaire et je n’en ai qu’une maigre expérience, hormis celle d’y être passé en tant qu’élève il y a quelques années. Mais je souhaitais apporter mon point de vue modeste (et certainement partial) sur ce qui pouvait en découler dans l’enseignement supérieur. Et j’imagine ne pas être le seul à le penser.
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