La bibliothèque de Babel
le 15 de marzo de 2010 à 14:54, par Vincent Beffara
J’ai du mal à admettre qu’il soit totalement indifférent que la langue quasi-unique de la communication scientifique soit l’anglais : qui l’a choisie ? Est-ce un hasard si cette même langue est progressivement imposée de façon beaucoup plus générale (titres de films en anglais non traduits, noms d’enseignes de magasin français en anglais, produits systématiquement nommés selon des appellations anglophones dans certains secteurs, invasion des publicités en anglais, hégémonie de l’anglais dans l’apprentissage des langues étrangères, etc.) ?
Le fait que l’anglais soit la langue véhiculaire de la science n’est certes pas le fait du hasard, comme tu le laisses entendre. C’est la conséquence directe de l’hégémonie des États-Unis dans un certain nombre de domaines. Ce point particulier ne prête guère à controverse (et je suis d’accord avec Yvan pour dire qu’il n’a pas un grand intérêt en soi en ce qui concerne les maths). On peut trouver cette hégémonie discutable ou souhaitable, mais c’est un fait qu’elle existe.
Maintenant, le parallèle (et le procès) que tu tires un peu vite de ce fait serait que le choix de l’anglais soit également un instrument de cette domination. C’est pour moi loin d’être évident (en tout cas je ne vois pas bien comment ça pourrait être le cas - je suis peut-être naïf, mais j’ai l’impression que si tous les Français se mettaient à publier en français, l’effet serait au contraire une marginalisation plus ou moins immédiate de la science française avec pour effet justement de renforcer l’hégémonie américaine ...).
(du coup, ce serait une question de bon sens ou de politesse de s’y exprimer systématiquement dès lors que tout le monde n’a pas forcément la même langue maternelle dans un cercle donné).
Exactement. C’est la moindre des politesses que de parler à quelqu’un dans une langue qu’il comprend, dès lors qu’on en est capable. Concernant les articles, l’anglais est la seule langue dont on peut être sûr qu’un lecteur potentiel la comprendra (au moins assez pour saisir le fond mathématique), donc on utilise celle-là. En conférence c’est la même chose, sauf dans le cas d’une rencontre où tout le monde est francophone. Même dans le cas d’un exposé de séminaire, si il y a 20 membres d’un labo français, ou plus généralement d’un pays non anglophone, et un unique invité étranger, on fait l’exposé en anglais bien sûr ! Je n’imaginerais pas une seconde de parler français en présence d’un non-francophone dans un contexte (scientifique ou non) où tout le monde comprendrait l’anglais.
Cela dit, quand je dis «on», je parle de «ma» communauté mathématique, ce qui m’amène à une constatation dont j’aimerais bien connaître l’explication. La question de la langue de publication est récurrente entre matheux, et il y a une séparation assez claire dans les opinions : dans mon expérience, les matheux dits «purs» sont les seuls, à de rarissimes exceptions près, à même envisager la publication en français comme souhaitable ; les matheux dits «appliqués» ne se posant même pas la question. Les mathématiques «pures» sont-elles plus «littéraires» ?
Quant au relativisme linguistique, ou simplement au fait qu’on réfléchit mieux dans une langue qu’on maîtrise mieux, d’une part je ne ressens pas ce genre de distinction en maths (quand je réfléchis à des maths, je n’ai pas l’impression de le faire dans une langue particulière mais plutôt «en maths» ou surtout graphiquement) - enfin, cela diffère d’un matheux à l’autre ; mais surtout, je ne vois pas bien le rapport avec le schmilblik : personne ne demande aux matheux français de réfléchir en anglais, et l’effort de la rédaction elle-même en anglais est tellement négligeable par rapport au reste du processus que la question me semble vraiment secondaire ...
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